Les joyaux de la sorcière
à Newport ça mettrait un temps fou pour m’atteindre…
— …et de toute façon tu arriverais trop tard. Écoute, envoie demain matin un télégramme demandant réponse immédiate et tu décideras en connaissance de cause si tu rentres à Paris ou si tu peux continuer ton voyage ? Tu n’aurais jamais qu’un jour à passer ici pour attendre les nouvelles.
C’était la sagesse. Aldo n’en passa pas moins une très mauvaise nuit au terme de laquelle il décida de rentrer. Aucune chasse, si excitante soit-elle, ne pouvait prévaloir contre son amour pour les siens. Il pourrait toujours revenir plus tard… Au matin avant même le petit déjeuner il passa son message, sachant qu’il faudrait du temps pour avoir la réponse, il accompagna Gilles Vauxbrun au train pour Boston :
— Que vas-tu faire de ta journée ? demanda celui-ci.
— Attendre évidemment ! Que veux-tu que je fasse d’autre ? Et puis sans doute foncer à la Compagnie Générale Transatlantique pour retenir mon passage. Avec un soudain accès de mauvaise humeur il grogna : « Tu as peur que j’aille demander des consolations à Pauline ? »
— Tu pourrais faire plus mal : c’est une amie sûre… et de bon conseil, fit Vauxbrun avec une gravité qui fit honte à Morosini. La meilleure adresse si tu as besoin d’un coup de main. Tiens, ajouta-t-il en lui tendant une feuille de calepin sur laquelle il venait d’écrire quelques mots : voilà celle de mon hôtel à Boston avec le téléphone. Je voudrais que tu me tiennes au courant.
— Promis, je te téléphonerai avant de partir !
— Merci. Et puis… si tout s’arrangeait et si d’aventure tu allais quand même à Newport, tu pourrais peut-être… m’appeler, ou m’envoyer un petit bleu réclamant mon retour d’urgence. Ça pourrait me rendre service !
En dépit de ses soucis, Aldo faillit se mettre à rire. Ce sacré Vauxbrun ne perdait jamais de vue ses intérêts et s’il avait fait preuve de grandeur d’âme en conseillant d’aller chercher réconfort auprès de la baronne Pauline, il ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’Aldo l’aidât à revenir plus vite auprès de sa belle.
— N’importe comment, j’avais l’intention de le faire, assura celui-ci. Si je reste ici je t’appellerai au téléphone.
Gilles était tellement ému qu’il l’embrassa :
— J’espère sincèrement que tu pourras rester et faire ce que tu dois mais prends garde, malgré tout, où tu vas mettre les pieds !
À sa surprise, en rentrant à l’hôtel, Aldo trouva un message de Lisa qui avait dû croiser le sien « Rien de grave, écrivait la jeune femme. Marie-Angéline s’est affolée trop vite – stop. Achève ton travail mais reviens vite – stop. Déteste te savoir si loin de moi – stop. Tendrement. Lisa. »
Soulagé de savoir Tante Amélie hors de danger mais peut-être un peu déçu vis-à-vis de lui-même de n’avoir plus le plus exigeant des prétextes pour abandonner une histoire qui lui plaisait de moins en moins, Aldo décida de réagir. Il s’enquit du prochain train pour Providence, s’en alla à Greenwich Village faire l’achat d’un matériel de peintre suffisamment convaincant mais en se spécialisant dans la gouache et l’aquarelle qui lui semblaient parfaitement adaptées aux paysages qu’il allait rencontrer et, surtout, seraient beaucoup moins encombrantes que l’huile et les toiles.
Cela fait, il rentra déjeuner à l’hôtel, écrivit une lettre pour Lisa et une autre pour Marie-Angéline, rangea et referma sa malle cabine après avoir empilé dans une valise ce qui lui était nécessaire, descendit payer sa note d’hôtel en demandant qu’on lui garde ses bagages les plus encombrants, se fit appeler un taxi pour retourner à Grand Central Station où n’étant plus obligé d’aller jusqu’à Providence pour tenir compagnie à Gilles durant les trois quarts de son trajet, il prit un train du genre omnibus qui remontait la côte Est et le mena jusqu’à Narragansett, agréable port de pêche au bord de la baie du même nom dont un ferry lui ferait traverser, le lendemain matin, les quelque dix milles le séparant de Newport.
CHAPITRE VIII
LES GENS DE RHODE ISLAND
En mettant pied à terre au seuil de White Horse Tavern dans Marlborough Street non loin de Friends Meeting House, l’ancien lieu de réunion qui rappelait l’importance de la population quaker de la ville au XVII e siècle, Aldo découvrit
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