Les "Larmes" De Marie-Antoinette
ainsi que vous le voyez ? fit Adalbert. Moi qui m’attendais à vous entendre chanter sa fidélité, son dévouement…
— Son dévouement ? À ce voleur ?
— Ce voleur, à présent ?
— Et pire encore !
— Voyons, voyons ! Nous parlons bien de la même personne ? Ce brave artiste capillaire en qui Marie-Antoinette avait si grande confiance qu’elle lui a remis ses bijoux en le priant de les porter à l’archiduchesse Marie-Christine, sa sœur, alors gouvernante des Pays-Bas ?
Le professeur se mit à tousser, se racla la gorge, prit une boule de gomme qu’il mâcha furieusement avant d’allumer un affreux cigare qui empestait. Et ce fut au tour d’Adalbert de tousser. L’autre cependant reprenait le fil de la conversation :
— C’est le même, sauf, mon cher monsieur, que vous n’y êtes pas du tout ! Ce n’est pas la Reine qui les lui a confiés – et encore pas tous heureusement ! – c’est le duc de Choiseul ! Je raconte : le 20 juin 1791 vers une heure de l’après-midi et avant de passer à table, la Reine fit appeler Léonard qui, à cette époque logeait aux Tuileries. Elle lui a remis une lettre à porter de toute urgence à M. de Choiseul, rue d’Artois, mais à lui seul. Au cas où il n’y serait pas, il devait le chercher chez M me de Grammont. Mais il y était. La lettre remise, le duc la lut et en montra, au coiffeur, les dernières lignes qui lui recommandaient d’exécuter fidèlement les ordres qui lui seraient donnés. Après quoi le papier fut brûlé à la flamme d’une bougie et Léonard entraîné dans la cour de l’hôtel où était un cabriolet fermé dans lequel on le fit monter. Il était question de se rendre « à quelques lieues de Paris pour remplir une mission particulière ». Et voilà notre figaro qui rouspète : en dépit de la grande redingote et du chapeau rond que la Reine lui avait conseillé de mettre, il n’était pas en tenue adéquate pour voyager ! Il ne peut pas partir ainsi habillé : la marquise de Laage attend qu’il vienne la coiffer et il a laissé sa clef sur sa porte ! Choiseul le rassura en riant et le fit monter dans la voiture dont il baissa les rideaux et fouette cocher ! Un relais, deux relais, trois relais… C’est seulement en arrivant à Pont-de-Somme-Vesle où devaient stationner quarante hussards, que le duc donna le fin mot de l’histoire au « physionomiste {12} » affolé : il l’emmenait au château de Thonnelles près de Montmédy où le Roi, la Reine et la famille royale devaient les rejoindre dans les heures à venir après avoir quitté Paris aux environs de minuit. Lui-même emportait l’habit de sacre du Roi, son linge, une partie des bijoux de la Reine et ceux de Madame Élisabeth. À cette révélation Léonard fondit en larmes et jura qu’il ferait ce qu’on voudrait encore qu’il ne comprît pas clairement pourquoi on l’emmenait, lui. La chose était simple cependant : Marie-Antoinette refusait d’être privée des mains miraculeuses de son coiffeur pendant son exil…
Après une nouvelle quinte de toux, le narrateur avala d’un seul coup le contenu de sa tisanière et se lança derechef dans son récit :
– Mais voilà qu’à Pont-de-Somme-Vesle, un incident se produit : les paysans se sont émus de la présence des hussards et s’attroupent en parlant de réquisition forcée. Choiseul fait de son mieux pour les apaiser, persuadé qu’il est de voir apparaître bientôt la berline royale. Mais celle-ci a déjà trois heures de retard. Il faut donc prévenir les autres troupes disposées sur la route de Paris à Montmédy que la voiture est en retard et qu’elles prennent patience. Lui-même va se mettre à la tête des hussards et les emmener en plein champ pour calmer les paysans. Pour prévenir les autres il ne reste que Léonard à qui il confie le cabriolet et son contenu. Puis lui remet un billet ainsi conçu : « Il n’y a pas d’apparence que le "Trésor" passe aujourd’hui. Restez où vous êtes et attendez de nouveaux ordres. » Et voilà notre merlan parti, tout faraud de la mission dont il est revêtu. Dieu sait pourquoi Choiseul avait retiré de la voiture les diamants de Madame Élisabeth mais l’Histoire a de ces bizarreries. Arrivé à Sainte-Menehould, Léonard l’air important montre le billet à M. d’Andouins et lui « conseille de faire desseller les chevaux et rentrer les hommes ». À Clermont, il tombe sur M. de Damas
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