Les "Larmes" De Marie-Antoinette
genre d’histoires !
— Moi aussi, fit la générale de Vernois dont on n’entendait jamais la voix. Une fois pour toutes, elle avait décidé que son mari s’exprimait suffisamment pour eux deux et elle s’y tenait au point que l’on pouvait la croire endormie. Cette fois, elle était bien réveillée et visiblement ravie de l’aventure.
On s’installa donc autour du guéridon. Le jeune Baldwin tira les rideaux afin que les lumières du salon ne fussent plus visibles et alla prendre place devant un harmonium placé dans un coin que personne n’avait encore remarqué. La pièce qui n’était plus éclairée que par la seule bougie s’emplit d’ombres et l’on ne distingua plus que les visages attentifs vaguement éclairés par la lueur jaune. À la demande de Crawford, ils posèrent à plat sur la table leurs mains qui se touchaient par les auriculaires. Dans ses coussins, Léonora ferma complètement les yeux :
— Nous devons nous concentrer, murmura Crawford. Un peu de musique nous y aidera…
Les sons graves de l’harmonium se firent entendre. En sourdine d’abord puis un peu plus fort, jouant une mélodie aigrelette qui, de l’avis d’Aldo, avait dû voir le jour dans les Highlands. Étant donné les goûts de celle que l’on prétendait appeler, cela lui parut curieux. Marie-Antoinette ne devait certainement pas s’intéresser au folklore écossais. Mais, évidemment, il ne pouvait rien dire…
Soudain, il y eut dans la table un craquement puis un autre et, sous ses doigts, Aldo perçut une sorte de frémissement comme s’il touchait le dos d’un être vivant.
Presque aussitôt une voix s’éleva, affreusement enrouée et bizarrement masculine. Pourtant c’était des lèvres de Léonora qu’elle sortait :
— Fait froid !… Fait si froid !…
Un frisson parcourut autour de la table même les plus incrédules comme Malden. Cette voix semblait traîner après elle toute la misère du monde. Crawford qui s’était institué le maître du jeu lui répondit :
— Pourquoi avez-vous si froid, frère ! ? Nous sommes là pour vous apporter de la lumière et de la chaleur…
— Qui êtes-vous ?
— Des amis, n’en doutez pas ! Que pouvons-nous faire pour vous ? Prier ?
— Peut-être… moi je n’ai jamais su… Oh, que j’ai froid !… L’eau est… glacée. Je… je ne peux pas… lui échapper !…
— Il faut que vous puissiez vous approcher de notre flamme. Nous allons prier pour vous guider jusqu’à nous, jusqu’à la lumière qui est là, au milieu de nous… Notre Père qui êtes aux cieux…
Le timbre profond donnait à la plus vieille prière des chrétiens une résonance inattendue chez cet homme, sceptique en apparence… Elle entraîna les autres mais ne trouva aucun écho de la part de l’inconnu et le silence retomba quand ce fut fini. Contre la sienne, Aldo sentit trembler la main de M me de La Begassière. La pauvre femme avait si peur que l’on pût entendre ses dents claquer. Cependant, Crawford reprenait :
— Étes-vous toujours là, frère ?…
— Oui… mais je vous entends de plus en plus mal… Vous vous éloignez… oh, que cette eau est froide…
À mesure qu’elle parlait la voix désolée s’affaiblissait, s’éloignait jusqu’à devenir murmure. Puis il n’y eut plus rien. Chacun put voir que la tête de Léonora retombait à présent sur sa poitrine.
— Laissons-la reposer un instant ! chuchota son époux. Lorsqu’elle entre en transe, on ne peut jamais savoir qui essaiera de s’exprimer par sa bouche. Celui que nous venons d’entendre a dû mourir sans savoir ce qui lui arrivait et ne parvient pas à se dégager du trou noir…
— Vous souvenez-vous de ce braconnier qui s’est noyé dans le Grand Canal l’avant-dernier hiver ? fit remarquer lady Mendl. C’était le soir, il faisait un froid de loup, tout était gelé et le gibier qu’il poursuivait s’est aventuré sur la glace du canal. Elle a cédé sous le poids de l’homme. Les forestiers du parc ont retrouvé son corps le lendemain…
— Vous… vous pensez que c’est lui qui…, chevrota M me de La Begassière
— Bien sûr que c’est lui, grogna Ponant-Saint-Germain agacé. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
— Frédéric va nous jouer un cantique afin de purifier les ondes. Ensuite nous essaierons d’atteindre celle que nous espérons. Je dis bien essaierons, parce que cette sorte de séance est éprouvante
Weitere Kostenlose Bücher