Les "Larmes" De Marie-Antoinette
mégots et le début – prometteur, il y en a déjà six cent trente-deux pages ! – d’une histoire exhaustive de Marie-Antoinette visant à lui offrir une auréole de sainteté. Le tout assaisonné de poussière et de brins de tabac. Et puis tout de même il y avait ça, ajouta-t-il en tirant un feuillet de sa poche. Ce n’est pas l’original. J’ai pris la peine et le temps de le recopier parce qu’il pourrait le chercher.
C’était la liste des membres de l’association. Elle se composait d’environ soixante-dix adhérents dont les noms n’évoquaient pas grand-chose pour Aldo, à l’exception du défunt marquis des Aubiers que le professeur n’avait pas eu le temps de rayer des effectifs. En revanche un nom était souligné : celui d’un certain Sylvain Delaunay.
— C’est toi qui as souligné ce nom ou il l’était sur l’original ? demanda Aldo.
— C’est moi, oui. Ça ne te dit rien ?
— Peut-être… Laisse-moi chercher !
— Pas la peine : c’est celui du cousin de Caroline. Tu sais, celui dont, au début de nos relations, elle ignorait ce qu’il avait pu devenir et qui, cependant, lui écrit de si belles lettres de Buenos Aires d’où elles n’ont jamais été envoyées. Si tu l’as oublié, c’est inquiétant : tu fatigues !
— Je n’ai pas oublié ! En outre, il y a une adresse : 10, rue de la Bonne Aventure ! C’est plus qu’une adresse c’est tout un programme ! On pourrait y aller voir ?
— C’est fait. Je m’y suis rendu en sortant de chez Ponant-Saint-Germain. J’ai trouvé une maison en ruine. Visiblement à la suite d’un incendie…
— En ce cas il faut interroger le vieux fou.
— Sous quel prétexte ? En lui disant que j’ai été explorer sa tanière en son absence ?
— Non, évidemment ! Mais on pourrait en charger Plan-Crépin puisqu’elle fait partie de la bande à présent ? Tu as vu, son nom est le dernier inscrit. Et ce Delaunay n’est pas rayé. Donc…
— … donc on s’en occupera demain ! Toi, je ne sais pas mais moi j’ai sommeil ! Bonne nuit !
Et, bâillant à s’en décrocher la mâchoire, Adalbert abandonna Aldo à ses réflexions. Elles l’occupèrent si bien qu’il y passa le reste de la nuit et ce fut seulement vers cinq heures du matin qu’il réussit à se plonger dans un sommeil peuplé de cauchemars absurdes d’où il sortit en sursaut et trempé de sueur quand on frappa à sa porte : un groom était derrière avec un message sur un petit plateau d’argent :
— Un pli urgent pour Son Excellence, annonça-t-il. Un agent en vélo vient de l’apporter !
C’était, en effet, une lettre du commissaire Lemercier. Ou plutôt – vu le style ! – une convocation. Morosini était prié de se présenter au Petit Trianon à huit heures et demie du soir muni du laissez-passer joint. D’autres instructions suivaient mais pas la moindre formule de politesse. Un art dans lequel Lemercier avait beaucoup à apprendre.
Morosini en conclut que le commissaire avait reçu des nouvelles du ravisseur et qu’il allait devoir délivrer en son nom et en celui de Kledermann l’autorisation officielle de disposer de leurs joyaux. Il devait venir seul et, en outre, garder un silence absolu sur ce rendez-vous même vis-à-vis des membres du Comité.
— Je me demande, grogna Adalbert si quelques-uns dudit comité n’en savent pas plus long que nous sur le sujet ?
— Tu penses à Crawford ?
— Bien entendu. Ton dîner d’hier soir me donne l’impression d’une comédie savamment réglée afin de persuader les autres de l’innocence du bonhomme.
— Tu oublies le malaise de Léonora. Ce n’était pas du théâtre, crois-moi !
— Possible qu’un accident se soit produit, c’est même certain. Sans cela lady Mendl n’aurait pas pu explorer la salle de bains. De toute façon cette histoire est de moins en moins claire…
À huit heures un quart, Aldo, en smoking et cigarette aux doigts, sortait de l’hôtel où le service du dîner battait son plein et, du pas d’un flâneur qui s’en va respirer l’air frais avant de se rendre à quelque soirée, franchissait discrètement la grille de la Reine qui céda sous sa main et qu’il referma sans bruit. Après quoi, sous l’abri des arbres il se dirigea vers les Trianons. Respectant les instructions reçues, il avait annoncé à Tante Amélie et à Marie-Angéline qu’il allait souper en tête à tête avec lady Mendl. Ne se
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