Les "Larmes" De Marie-Antoinette
Lemercier :
— Ne vous tourmentez donc pas pour lui, commissaire ! Morosini y a pensé avant vous. Et il a fait ce qu’il fallait. Parce qu’il n’est pas seulement très riche. Il est aussi très généreux… votre voleur !
La portière en claquant donna la juste mesure de son ressentiment… et de sa pudeur : le policier ne vit pas qu’il avait les larmes aux yeux…
Vidal-Pellicorne était encore mal remis de son émotion quand, dans le hall de l’hôtel il aperçut la moitié inférieure de Michel Berthier – reconnaissable à ses « knickerbockers » en tweed gris et à ses chaussettes écossaises – surmontée d’un journal – L’Excelsior ! – largement déployé. Aussi louvoya-t-il dans l’espoir de gagner les ascenseurs sans se faire remarquer. Peine perdue : le journaliste avait pratiqué un petit trou dans le papier afin d’observer à loisir le tambour vitré de la porte. Il laissa choir son quotidien et, en trois sauts, rejoignit Adalbert :
— Vous avez du nouveau ?
— Non !… Si ! Le commissaire principal Langlois est à l’hôpital de Saint-Cloud avec le bassin fracturé !
— M… ! fit sobrement Berthier. Qu’est-ce qu’il faisait dans le coin ? Il n’aurait pas eu l’intention de calmer le grotesque entêtement de son confrère de voir un coupable dans Morosini ?
— Tout juste ! Avouez que ce n’est pas de chance !
— En effet, mais on va peut-être le ramener à la raison ? On n’a pas idée de confondre Morosini avec Arsène Lupin ! D’autant que celui-ci n’aurait jamais pris la fuite avec la rançon de cette malheureuse ! Qu’est-ce que vous diriez de quelques lignes bien senties à la « Une » ?
Adalbert eut un geste découragé :
— Pourquoi pas ? Au point où l’on en est !… J’espère seulement que ça ne lui servira pas d’oraison funèbre !
— Ben, dites donc ! Vous êtes optimiste, vous !
— Pas très, non ! Étant donné que le ravisseur joue les indignés et que Morosini passe pour avoir pris la fuite, il n’a aucune raison de le garder en vie ! En revanche, il en a beaucoup de s’en débarrasser…
— Sa femme a été prévenue ?
— Pas encore et on ne le fera qu’en face d’une certitude. Inutile de lui infliger des angoisses supplémentaires : elle en a eu sa large part depuis qu’ils sont mariés… Pendant que j’y pense ! Vous êtes retourné chez M lle Autié ?
— Une seule fois mais il n’y a rien de changé. La maison est dans l’état exact où nous l’avons laissée. Les tableaux sont en place et les meubles debout ! C’est bizarre, vous ne trouvez pas ?
— C’est à elle seule que la maison en veut ! Elle est adulte pourtant ! J’ai entendu parler assez souvent de phénomènes de ce genre dans des lieux où habitait un adolescent, garçon ou fille…
— Elle a quoi ? Vingt ans au plus ? C’est pas si loin l’adolescence… et si elle est vierge !
— Vous avez peut-être raison ? Ou alors elle est morte et l’esprit est satisfait !
— Qu’est-ce qui vous prend de voir des morts partout ? protesta le journaliste. Moi je suis comme saint Thomas : pour croire il faut que je voie.
— Alors, cherchez, bon Dieu !
— Et qu’est-ce que je fais d’autre ? J’ai obtenu de mon patron de rester ici tant que le mystère ne sera pas éclairci. Mais il faut que j’arrive à quelque chose !
Un instant, Adalbert considéra le journaliste. Celui-là avait incontestablement le feu sacré. Aussi n’hésita-t-il qu’à peine avant de dire :
— Écoutez ! Si vous me donnez votre parole d’homme de ne pas vous jeter sur votre stylo pour tartiner je ne sais quelle histoire mirifique et complètement fausse, je vous raconte ce qui vient de se passer chez les Crawford !
— Ce ne serait pas mon intérêt. Les lecteurs aiment qu’on leur livre une belle histoire bien ficelée et non des lambeaux plus ou moins informes. Je n’écrirai rien avant d’avoir tout compris. Je dis bien tout !… et vous avez ma parole.
Adalbert rapporta donc la scène qui s’était achevée dans l’appartement de Léonora. Pendant qu’il parlait le visage de Berthier s’éclairait :
— Je ne sais pas pourquoi votre Crawford ne m’a jamais inspiré une franche sympathie, fit-il quand Adalbert eut achevé son récit. C’est idiot parce que je n’ai absolument rien à lui reprocher mais j’ai envie d’aller traîner autour de sa maison avec
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