Les "Larmes" De Marie-Antoinette
géraniums et, se redressant, s’inscrire enfin dans le ruban éclairé et là se figer visiblement surpris de ce qu’il voyait.
Cessant de lutter entre la curiosité et l’ennui que lui causait une escalade en smoking et souliers vernis, Adalbert s’attaqua bravement au mur et en peu d’instants il eut rejoint son ami. Ce qu’il vit lui arracha un « oh ! » silencieux : c’était un spectacle de désolation absolue.
Assise sur un tabouret de piano le dos tourné à l’instrument, une jeune fille pleurait sans bruit au milieu d’un salon ravagé. Un salon qui dans son état primitif devait être joli avec ses murs tendus de damas d’un rouge passé, son trumeau de cheminée représentant une tête de berger telle qu’on les concevait jadis à Trianon, son lustre et ses girandoles à cristaux ternis par une légère couche de poussière mais qu’un ouragan semblait avoir visités. À l’exception des deux déjà cités, aucun meuble n’était debout ; les tiroirs retournés gisaient à terre, les coussins des deux bergères, des trois fauteuils et du canapé Louis XVI éventrés lâchaient leur laine parmi de multiples objets, portraits et tableaux décrochés des murs. Et la jeune fille, les mains nouées entre les genoux, posait sur ce spectacle un regard vert désolé dont les larmes coulaient sans interruption sans qu’elle fît rien pour les essuyer. Le tailleur qu’elle portait, assorti à une petite cloche de feutre, au sac, aux gants et aux souliers s’accordait avec la valise : elle revenait de voyage et les joies du retour s’étalaient sous leurs yeux.
— On tombe pile ! chuchota Adalbert. C’est sûre-nient celle que nous cherchons et on dirait qu’Attila est passé par là !
— On va s’en assurer et voir ce qu’on peut faire.
Après s’être épousseté machinalement, Aldo frappa à la vitre de la porte-fenêtre et s’avança vers la victime des vandales :
— Veuillez me pardonner ! Vous êtes bien mademoiselle Autié ?
Il avait parlé doucement, cependant elle sursauta, tournant vers les deux hommes un visage – absolument ravissant ! – et des yeux brillants de colère :
— Qui êtes-vous ?… Que faites-vous chez moi ? Vous venez achever votre ouvrage ?
En parlant, elle arrachait d’un geste rageur son chapeau révélant des cheveux de la même couleur de miel clair que sa peau. Debout elle paraissait grande, avec de longues jambes et un corps à la fois fin et nerveux. Sa beauté était telle qu’elle suffoqua ses visiteurs pendant trois ou quatre secondes. Adalbert se reprit le premier :
— Grand Dieu, non ! Nous sommes des gens de goût et pas portés sur le vandalisme. Simplement… nous pensions vous aider !
— À quoi faire ? Le ménage ? Et d’abord, comment êtes-vous entrés ?
— Le mur, fit Aldo en désignant le vernis noir griffé de ses chaussures. J’avoue que notre position n’est guère orthodoxe et que vous avez toutes raisons de vous méfier mais je vous donne ma parole de gentilhomme que nous sommes animés des meilleures intentions…
— Gentilhomme ? D’aventures je suppose ?
— J’en ai couru quelques-unes mais je ne crois pas avoir droit à ce titre. Je me nomme Aldo Morosini, Vénitien, expert en joyaux et prince par-dessus le marché. Quant à mon camarade…
Il n’eut pas le temps d’en dire davantage. La demoiselle se baissant rapidement, ramassait une statuette de bronze qui traînait au pied du piano dans l’intention évidente de s’en faire une arme…
— Expert en joyaux, hein ? Et vous osez me le dire en face… Sortez !
— Je ne vois pas pourquoi je m’en cacherais. Mais je tenais à vous faire comprendre…
— Rien ! Sortez ! Sortez immédiatement ou j’appelle la police, ajouta-t-elle en relevant de sa main libre un téléphone qu’elle posa au jugé sur l’instrument.
— Ça, fit calmement Adalbert, c’est une fameuse bonne idée parce que, justement, elle vous cherche la police ! N’oubliez pas de demander le commissaire Lemercier ! Vous verrez, c’est un homme exquis !
Un peu désarçonnée, Caroline Autié baissa sa garde :
— Ah oui ? Si vous êtes ce que je pense, vous ne devez pas l’apprécier beaucoup en effet ! Bien entendu vous êtes dans les bijoux vous aussi ?
Adalbert lui offrit un sourire angélique :
— De temps à autre mais ce n’est pas habituel. Je donne dans plus imposant. Pyramides, mastabas et sarcophages, par
Weitere Kostenlose Bücher