Les "Larmes" De Marie-Antoinette
rendez-vous de façon à voir sans être vus. Le soir tombant rendait l’endroit plus obscur, au point de ne pas pouvoir lire l’heure à une montre, mais les bassins eux étaient bien visibles. Au milieu de celui du Dragon, tout rond, le monstrueux animal agonisait transpercé par les flèches d’une foule d’amours chevauchant des cygnes accompagnés de dauphins. Derrière lui, en contrebas, le très large bassin trilobé de Neptune voyait jaillir le dieu des mers, armé de son trident, avec Océan et Protée que le crépuscule de ce jour pluvieux changeait en noires silhouettes vaguement inquiétantes.
— Je ne sais pas si tu as déjà vu, ici, le spectacle des Grandes Eaux ? demanda Adalbert.
— Non et je le regrette, mais cela ne s’est jamais trouvé.
— Dommage car c’est vraiment magique ! Ce lieu est celui où s’achève le spectacle. Le Dragon crache alors une fusée liquide d’environ trente mètres au milieu des jets moins importants des dauphins. Quant à Neptune il reçoit l’eau des fontaines qui sont au-dessus complétée par des jets verticaux. Tu n’imagines pas à quel point c’est magnifique… Aussi dans l’après-midi, quand il fait beau, c’est la promenade préférée des nounous et autres nurses avec leurs bambins. Elles entrent par la grille que tu aperçois là-bas. Malheureusement c’est assez humide dans le coin et quand il pleut comme aujourd’hui…
— Réjouis-toi, il ne pleut plus !
— Sauf dans ce satané bosquet ! Les arbres en ont encore pour un moment à nous dégoutter dessus. Quelle heure est-il ?
— J’ai l’impression d’avoir entendu sonner huit heures !
— Ce sacré Lemercier aurait pu nous réunir plus tard ! Tu te rends compte ? Encore trois heures à patauger là-dessous !
— Il y a là une grosse souche d’arbre. Viens la partager avec moi !
Appuyés l’un contre l’autre ils s’installèrent le plus confortablement possible en fumant des cigarettes et deux ou trois cigares. Il faisait frisquet au cœur de cette végétation mouillée et tenir quelque chose d’allumé entre les lèvres les réchauffait un peu. Le temps passa, lentement, peuplé seulement des bruits de la ville toute proche. Ni l’un ni l’autre n’avait envie de parler. Il leur semblait que s’ils ouvraient la bouche, ils laisseraient échapper leur chaleur intérieure Soudain, cependant, Adalbert étouffa un éternuement :
— À tes souhaits ! chuchota Morosini.
— Alors je souhaite un bain et un grog bouillants ! Tu n’as pas froid, toi ?
— Pas trop, non !
— Dire que c’est toi qui es sensible des bronches ! C’est le monde à l’envers ! grogna l’égyptologue en tirant son mouchoir dans lequel il officia aussi discrètement qu’il le pouvait, conscient que l’heure approchait et que ce n’était pas le moment de faire du bruit.
Enfin onze coups s’égrenèrent à l’église Notre-Dame.
À peine le dernier eut-il résonné qu’un pas décidé se fit entendre. La grille du Dragon grinça et les yeux des guetteurs perçurent la silhouette massive du commissaire qui s’avançait calmement, le chapeau enfoncé sur la tête et les mains au fond de ses poches. Le ciel s’était éclairci après la dernière pluie et les yeux habitués des observateurs voyaient presque comme si la lune eût été pleine.
Le policier arrivait au bord du bassin quand surgit de nulle part – personne ne le vit arriver ! – un groom d’hôtel. On l’entendit demander s’il avait bien affaire à M. Lemercier et sur sa réponse affirmative, lui tendit une lettre.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda le commissaire.
Mais, sans répondre, le gamin fit demi-tour, prit ses jambes à son cou et disparut par la grille restée ouverte. Adalbert fit un mouvement pour s’élancer derrière lui mais Aldo le retint d’une main vigoureuse :
— Reste tranquille ! On ne doit bouger qu’en cas de danger. Et puis tu ne le rattraperais pas.
Pendant ce temps, Lemercier sortait une lampe électrique de sa poche et décachetait la lettre. Il fut vite évident que le texte n’en était pas à son goût car, dans la lumière de sa lampe, les guetteurs le virent nettement s’empourprer tandis qu’il se mettait à jurer le nom de Dieu avec une fureur qui n’avait rien de religieux. Et soudain :
— Nous sommes joués ! cria-t-il. Sortez, vous autres !
Aldo et Adalbert le rejoignirent les premiers. Il leur tendit la
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