Les "Larmes" De Marie-Antoinette
saison. Tous deux appréciaient cette promenade d’environ un kilomètre à travers la noble cité. Lavé de frais, Versailles étincelait et embaumait la terre, l’herbe et les plantes mouillées mêlées à une légère senteur de bois brûlé évocatrice de flambées allumées dans les cheminées pour lutter contre l’humidité. Plan-Crépin adorait marcher. Quant à son compagnon, si le footing n’était pas son sport favori – bien qu’il fût capable de fournir de longues distances ! – il aimait déambuler – parfois sans but précis – lorsque quelque chose le tourmentait. Ce qui était le cas…
Lorsque Adalbert avait stoppé son bruyant moteur devant la maison de Karloff, l’écho d’un chant religieux prit sa place. Deux voix féminines – l’une frêle, l’autre grave – interprétaient en russe ce qui paraissait être un hymne à la douleur :
— On n’en est tout de même pas déjà aux funérailles ? marmotta-t-il.
Plus qu’inquiet, Aldo ouvrit la barrière du jardin et s’avança vers la maison redoutant de trouver ces femmes en train de chanter devant un corps étendu sans vie comme cela se faisait en Russie. La porte n’étant pas fermée à clef, il l’ouvrit mais son élan s’arrêta au seuil d’une pièce assez grande qui devait servir de salle à manger et de salon. Sur le mur du fond, plusieurs icônes étaient disposées autour de celle, nettement plus importante, de Notre-Dame de Kazan, le tout éclairé par une demi-douzaine de cierges, devant lesquelles deux femmes à genoux chantaient en pleurant. Deux femmes à peu près du même âge mais aussi différentes que leurs voix. L’une, taillée comme un grenadier dont elle possédait le timbre profond, dépassait d’une tête sa compagne fragile et délicate dont les cheveux blancs sortaient du fichu violet noué sous le menton. Celle-là très certainement était l’épouse du colonel même si l’autre pleurait plus fort qu’elle.
Il fallut attendre sans bouger que le cantique fût achevé puis une série de génuflexions et de signes de croix alternant avec ce qui avait l’air d’une litanie. Cela fait, la plus imposante aida sa compagne à se relever et la conduisit vers la table où fumait le samovar. À ce moment elles s’aperçurent qu’elle avaient des visiteurs.
— Vous voulez quoi ? demanda le « grenadier » sans s’encombrer de politesse superflue en croisant sur une poitrine généreuse des bras de lutteur.
— Voir M me Karlova, répondit Aldo en s’inclinant devant la petite dame. Si toutefois elle y consent. Voici M. Vidal-Pellicorne de l’Institut et je me nomme Aldo Morosini. Nous sommes des amis du colonel et nous souhaitons…
La grande émit alors une sorte d’ululement et se tourna vers les images pieuses dans l’intention évidente de s’y précipiter pour entamer sans doute un nouveau lamento quand sa compagne l’arrêta d’un sec :
— Cela suffit, Marfa ! Le temps de la prière reviendra ! Pour le moment, je désire entendre ces messieurs qui apportent peut-être des nouvelles ! Je sais qui vous êtes, ajouta-t-elle en ébauchant un courageux sourire qu’elle ne put achever. Prenez place s’il vous plaît ! Et dites-moi si vous savez où est mon époux.
Elle leur désignait des sièges qu’ils prirent tandis que Marfa choisissait de se consacrer au samovar et sortait les tasses selon les rites de l’hospitalité russe.
— Nous espérions le trouver ici, madame, mais si je comprends bien il n’est pas rentré ?…
— Non… et c’est la première fois que le jour s’est levé sans que je sache où il est. Même quand il travaillait la nuit, il s’arrangeait pour me prévenir quand il devait s’attarder. Depuis hier où il m’a dit par téléphone qu’il rentrerait sans doute tard, je ne sais plus rien.
— Nous en savons à peine plus, madame, dit Adalbert. La dernière fois que nous l’avons vu il s’était garé près du théâtre Montansier afin de nous prêter main-forte au cas où il aurait fallu poursuivre le personnage mystérieux avec lequel nous avions rendez-vous près du bassin du Dragon et en compagnie de la police, d’ailleurs…
— Ce personnage s’est échappé et il l’a suivi ?
— Non. L’homme ne s’est pas présenté. Il n’y a donc pas eu de poursuite, mais quand nous avons voulu rejoindre le colonel, il avait disparu… Cependant, ne perdez pas l’espoir, je vous en supplie, ajouta Aldo en voyant
Weitere Kostenlose Bücher