Les "Larmes" De Marie-Antoinette
être utile et que le temps ne compte pas. Il y a un peu plus loin une impasse : je vais m’y garer…
Dans l’ancienne rue Princesse, les Malden habitaient un hôtel particulier à un étage, orné de chiens assis et de guirlandes entre les fenêtres, qui avait été bâti aux environs de 1730 pour un musicien de la Cour. Au seuil d’une porte laquée d’un beau vernis vert sombre, un serviteur déjà âgé accueillit les visiteurs, les débarrassa de leurs vêtements de pluie et les précéda dans un vestibule dallé de marbre blanc à bouchons noirs jusqu’à un salon bleu et or résolument Louis XVI avec de splendides meubles d’époque et parfumé par une débauche de roses anciennes aux pétales multiples jaillissant de tous les vases. Dans des cadres ovales deux portraits de femmes, l’une coiffée « à l’oiseau royal » et l’autre d’un de ces chignons de longues boucles chers à l’impératrice Eugénie tenaient compagnie à des gravures de Carmontelle. Un tapis de la Savonnerie aux teintes passées couvrait le précieux parquet Versailles et menait jusqu’à un bureau bibliothèque qui était de toute évidence la pièce du maître de maison si l’on en jugeait par la fumée bleutée des cigares qui l’emplissait. Et il n’était pas seul : répandus dans de confortables Chesterfield en cuir noir, Crawford et le général fumaient en silence, l’œil fixé sur leur hôte occupé à répondre au téléphone. Répondre était peut-être excessif car il ne disait pas un mot, se contentant d’accueillir les nouveaux venus d’un sourire et d’un geste de la main. Un silence absolu régnait tandis que les arrivants serraient les mains tendues vers eux.
Enfin, après avoir déclaré qu’il était d’accord, Malden raccrocha le combiné, visiblement soucieux.
— Les nouvelles sont mauvaises ? demanda l’Écossais.
— Pas vraiment, cependant on ne peut dire qu’elles soient excellentes. Lemercier a reçu l’ordre de se trouver – seul bien entendu ! – vers onze heures ce soir auprès du bassin du Dragon, dans le jardin du château. Je vous avoue que j’aurais préféré un endroit quelconque dans la campagne ou dans la ville…
— Ce n’est pas gênant ? fit Aldo. La nuit, jardin et parc doivent être déserts à souhait ?
— Sans doute, mais cela veut dire aussi que notre homme possède les moyens de s’introduire dans l’enceinte du palais, ce qui n’est pas donné à tout le monde et surtout pas à nous.
— La question ne se pose pas pour le commissaire et ses hommes – en admettant qu’il en emmène. Il peut se faire ouvrir n’importe quoi de jour comme de nuit, observa le général. Cependant il doit certainement avoir une idée ?
— Il l’a : nous allons dès à présent nous rendre au château en ordre dispersé, prendre un ticket comme n’importe qui et ensuite nous diriger en flânant vers les bosquets nord : celui de l’Arc de triomphe et celui des Trois Fontaines au bout desquels se trouve le bassin en question. Nous nous y cacherons moitié dans l’un moitié dans l’autre et nous attendrons.
— Il est seulement cinq heures ! gémit Adalbert. Cela veut dire six autres sous des arbres mouillés ?
— Pourquoi pas ? dit Aldo. On a déjà vécu pire !
— Oh, je sais, mais toi, tu vis dans une ville aquatique et ne peux pas comprendre, mais moi je commence à redouter les rhumatismes qui nuisent si fort à l’élasticité des bras et des jambes…
— C’est ça ou rien ! sourit Malden en reprenant son cigare.
— Vous pensez bien que ce sera ça, dit Aldo, mais ce que je comprends mal c’est qu’il faille faire le détour par le château. Le bassin du Dragon est voisin de celui de Neptune si j’ai bonne mémoire ?
— Je comprends votre pensée. Le bassin de Neptune jouxte à peu de chose près le boulevard de la Reine, presque en face du Trianon Palace. Avant votre arrivée je l’ai dit à Lemercier mais ce serait justement un peu trop facile et comme nous ignorons les moyens de surveillance de l’ennemi mieux vaut jouer les touristes.
— Qui vous dit que nous ne serons pas repérés ? avança Vernois. Des Versaillais qui sont tout à coup pris d’une folle envie de visiter un château qu’ils connaissent par cœur !
— Il ne vous arrive jamais d’y aller rêver à nos grandeurs passées ?
— Si… de temps en temps !
— Vous voyez bien ! Messieurs, je suis désolé de vous recevoir si
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