Les "Larmes" De Marie-Antoinette
s’assombrir les yeux bleus de Liouba Karlova. Vous le connaissez mieux que nous et vous devez savoir que lorsqu’il flaire une piste, il ne peut s’empêcher de la suivre. Peut-être a-t-il vu quelque chose pendant qu’il attendait et voulu en savoir plus ? Au fond, il n’est en retard que de quelques heures…
Il s’efforçait de la rassurer en essayant de se convaincre lui-même parce que, tout à coup, l’angoisse de cette femme âgée, qui avait dû être très belle et en gardait des traces, lui était insupportable. Il ne pouvait être arrivé malheur au bouillant colonel. Ce couple avait vécu l’enfer de la révolution d’Octobre. Il ne pouvait pas, ne devait pas être séparé. Pas déjà !… Avalant d’un trait le thé qu’on lui avait servi, il se leva, s’inclina en allumant son plus beau sourire :
— Nous allons, immédiatement, prévenir le commissaire Lemercier et nous mettre en chasse…
Tout en parlant, une idée lui venait, si simple qu’il s’en voulait de ne pas y avoir pensé plus tôt et qu’il livra à Adalbert dès qu’ils eurent repris la voiture :
— Le groom qui a apporté la lettre ! S’il l’avait suivi ?
— Pour quoi faire ? C’est à coup sûr l’un de ceux du Trianon… ou d’un autre hôtel, exécutant la commande d’un client qu’il n’a peut-être pas vu…
— On va quand même voir ce qu’en pense la police… et signaler la disparition du colonel…
Malheureusement, Lemercier enregistra le fait – avec agacement d’ailleurs, l’irascible chauffeur de taxi étant pour lui capable de faire n’importe quoi pour se rendre intéressant ! –, l’histoire du groom le mit aussitôt en colère :
— Que croyez-vous que je fasse de mon temps ? brailla-t-il. J’y ai pensé avant vous, mon cher monsieur ! Le gamin a été interrogé : c’est l’un de ceux du Palace, et hier, en venant prendre son service, il a trouvé dans la poche de son uniforme la lettre, un mot indiquant ce qu’il convenait d’en faire et un billet de banque. Le correspondant anonyme ajoutait qu’il en aurait autant une fois sa mission accomplie. Ce qui s’est passé… Alors laissez-moi travailler en paix !
Sachant pertinemment comment la question serait reçue, on se garda sagement de demander le nom du garçon.
— S’il l’a trouvé, j’y arriverai aussi ! assura Adalbert. Je vais m’en occuper pas plus tard que maintenant ! Va à ton Comité…
C’était à tout cela qu’Aldo songeait en arpentant les rues de Versailles avec Plan-Crépin et ses pensées n’avaient pas meilleure mine que le visage pâle, digne et douloureux de Liouba… L’idée qu’un malheur ait pu toucher cette force de la nature qu’était Karloff le bouleversait : il se voyait si péniblement venir l’annoncer à sa veuve !
Personne ne manquait quand ils arrivèrent. Le comité actif se composant d’une quinzaine de personnes, un léger brouhaha voguait sur l’enfilade des salons de la comtesse mais c’était dans le dernier que l’on se tenait. En dépit de ses soucis, Aldo fut sensible au décor. La demeure de M me de La Begassière était ravissante avec ses boiseries peintes dans un vert céladon rechampi d’or, ornées de trumeaux et de dessus de portes dus au pinceau de Boucher ou de Greuze. Des meubles de bois précieux voisinaient avec des sièges tendus de satin brodé aux couleurs mourantes. Des laques de Chine, des terres cuites de Clodion tenaient compagnie à un délicieux clavecin peint au vernis Martin de personnages chinois. Les vases débordaient de roses pourpres et de pivoines blanches. Les tapis étaient de soie, les lustres de cristaux étincelants et, quand il rejoignit les autres dans la bibliothèque, Aldo put admirer les rayonnages de livres reliés du même cuir havane frappé d’or.
— En vérité, dit-il en baisant la main de son hôtesse, votre maison est une merveille, comtesse, et si je n’habitais Venise je crois que je viendrais m’installer ici. C’est peut-être la dernière ville où l’on peut vivre en rêvant.
— Surtout quand on pense à ce que l’absurde révolution et les grandes idées du bon roi Louis-Philippe ont fait comme dégâts, on s’émerveille en imaginant ce que cela serait s’ils n’étaient pas passés par là ! s’écria Gilles Vauxbrun abandonnant momentanément sa position penchée au-dessus de la bergère où était assise la belle Léonora.
— Tu n’aurais pas dans
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