Les larmes du diable
silencieuse, nous repartîmes en courant vers le mur et l’escaladâmes. Une fois dans le verger du voisin, Barak appuya son dos contre un arbre. Il me regarda fixement, puis avala sa salive.
« Dans cette maison, quelqu’un a torturé des animaux. Mais pas seulement. Au fond, il y a un petit garçon. Un guenilleuxd’environ sept ans. Il a été… » Il s’interrompit. « Vous n’avez pas besoin de le savoir, mais il a dû mettre du temps à mourir.
— Le frère de la petite folle, soufflai-je. La petite qui était emprisonnée avec Elizabeth.
— Peut-être. Celui qui a fait ça a dû se dire que personne ne s’apercevrait de la disparition d’un petit mendiant, et que ça n’avait pas d’importance. J’ai eu peur, je l’avoue. Je me suis dit que si celui qui avait fait ça arrivait, je serais en fâcheuse posture au fond de ce trou. J’avais hâte de sortir… » Sa voix tremblait.
« Loin de moi l’idée de vous blâmer. »
Il me regarda, et une idée soudaine lui fit écarquiller les yeux. « Pensez-vous que cela pourrait être Elizabeth Wentworth ? Est-ce pour cela qu’elle a perdu l’envie de vivre après qu’on a enfermé la petite avec elle ? Si c’est le petit frère qui est en bas… »
Je réfléchis un instant. « Non. Joseph m’a dit qu’elle avait un chat qu’elle adorait. Needler prétend qu’il s’est sauvé, moi, je gage que c’est lui qui se trouve au fond du puits. Non, ce n’est pas elle. À mon avis, c’est le petit Ralph le coupable. Il a d’abord torturé les animaux, puis l’enfant.
— Mais alors… vous ne comprenez donc pas ? Cela donne à Elizabeth un motif pour pousser son cousin dans le puits. On pourrait dire qu’il ne l’avait pas volé. Elle a peut-être découvert ce qu’il faisait…
— Dans ce cas, pourquoi Needler n’a-t-il rien dit au sujet des animaux et du petit garçon quand il a remonté Ralph du puits ? » Je secouai la tête. « Il a bien dû voir ce qui se trouvait au fond. Il faut que je retourne auprès d’Elizabeth et que je l’interroge.
— Si elle est encore en vie.
— J’irai dès demain matin. Merci pour tout », ajoutai-je maladroitement.
Barak me lança un regard sombre. « Vous me trouvez dur, mais jamais je ne ferais de mal à un être sans défense.
— Je vous crois. Allons, retournons à Chancery Lane. »
Il hocha la tête et dit : « Seigneur, je vais avoir des cauchemars cette nuit. »
39
N i B arak ni moi n ’ eûmes un sommeil paisible cette nuit-là. En rentrant, nous avions trouvé un message de Guy nous informant qu’Elizabeth allait un peu mieux et que sa fièvre avait baissé. Il me demandait aussi de passer le voir pour discuter de « l’autre affaire ». Barak était allé à cheval chez Joseph avec un message lui proposant de nous rejoindre à la prison à neuf heures le lendemain.
En m’habillant ce matin du sept juin, je me dis que j’avais fort à faire ce jour-là : aller voir Elizabeth, puis Cromwell, et enfin Guy. Mon cœur se serra à la perspective de rencontrer le comte d’Essex. Il ne restait plus que trois jours. Mais maintenant, on pouvait espérer qu’il aurait interrogé Marchamount. Si lady Honor ne savait rien, et si Rich et Bealknap n’avaient rien à voir dans l’affaire, il ne restait plus que lui. J’espérais qu’il permettrait de retrouver les assassins des Gristwood. Mais si, ainsi pressé, il donnait à Cromwell la formule du feu grégeois ? Ma foi, dans ce cas, ce ne serait plus de mon ressort.
Barak voulut m’accompagner à Newgate. Ne retrouvant plus ses chaussures de cavalier, il me demanda de l’attendre, ce que je fis devant la maison. La matinée était encore chaude, mais le vent s’était levé, une brise tiède qui faisait filer dans le ciel de petits nuages blancs. Simon apparut, menant les chevaux par la bride.
« Vous voilà encore en route de bonne heure ce matin, messire.
— En effet. Nous allons à Newgate. »
Le gamin me coula un regard de biais sous sa tignasse blonde. La curiosité se lisait sur son étroit visage. « Est-ce que messire Barak s’est battu contre des voleurs, messire ? Est-ce pour cela qu’il a perdu ses cheveux ?
— Non, Simon, répondis-je en riant. Ne sois pas si curieux. » Je regardai les solides petites chaussures qu’il avait aux pieds. « Tu t’y es habitué, maintenant ?
— Oui, messire, merci. Je cours plus vite et c’est tant mieux, avec tous les messages que j’ai portés ces temps-ci. » Il me
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