Les larmes du diable
plus rien de leur conversation. Une porte se ferma au loin et les lumières s’éteignirent dans toute la maison. Je me laissai retomber à terre. Barak se redressa et se frictionna les mains.
« Morbleu ! souffla-t-il, vous m’avez presque disloqué les poignets.
— Pardonnez-moi, mais je ne pouvais pas bouger. La vieille dame a d’ailleurs entendu quelque chose.
— Que diable faisait-elle dans le jardin la nuit ?
— Elle était avec le majordome. Ils voulaient parler tranquillement, à mon avis. J’ai saisi des bribes de leur conversation. Il semblerait que les filles aient peur de quelque chose. »
Nous attendîmes une dizaine de minutes. Un hibou descendit majestueusement d’un des arbres du verger, blanc comme un fantôme, et une petite créature dans l’herbe poussa un cri tandis qu’il se saisissait d’elle et l’emportait. Enfin, je remontai sur le mur. Les lumières étaient éteintes, le jardin silencieux et, au clair de lune, on distinguait vaguement la forme du puits.
« Je ne vois les chiens nulle part », dis-je.
Barak se hissa à côté de moi. « C’est curieux. On aurait cru qu’après une tentative d’effraction les propriétaires les lâcheraient la nuit.
— Oui, mais ils paraissent en avoir décidé autrement. »
Barak s’assit à califourchon sur le mur et tira de sa besace deux morceaux de viande grasse enveloppés dans du papier. Il les lança sur la pelouse, puis jeta contre le gros arbre une pierre qu’il avait ramassée tout à l’heure. Elle rebondit avec un bruit sec.
« Le Maure m’a dit que, s’ils avalaient ça, ils dormiraient au bout de cinq minutes, chuchota-t-il.
— C’est Guy qui vous a donné cette viande ?
— Oui. Je lui ai raconté l’histoire hier, pendant que vous dormiez. Je me suis dit qu’il aurait peut-être une idée. » Un sourire fendit son visage. « En faisant plus ample connaissance avec lui, je me suis rendu compte qu’on s’entendait bien.
— Oui… Toujours pas de chiens.
— Si on s’y risquait ? » proposa-t-il en se grattant le menton.
J’épiai les fenêtres sombres de la maison et chuchotai : « Tant que nous restons sur nos gardes…
— Vous vous sentez fin prêt ?
— Mais oui !
— Bon, alors, allons-y. » Barak sauta souplement sur la pelouse et je le suivis. Le contact avec le sol m’arracha une grimace tandis qu’une douleur fulgurante me traversait le dos. J’observai la maison tandis que Barak allait chercher ses morceaux de viande et les remettait dans sa besace.
« Mieux vaut ne pas les laisser là, sinon ils sauraient que quelqu’un est entré dans leur jardin. »
Il ouvrit les cadenas du puits et je l’aidai à soulever le couvercle. L’odeur était moins forte à présent, mais la vue de cette ouverture noire me tordit encore l’estomac. Barak déroula son échelle de corde et descendit prestement. Tandis que je continuais à surveiller la maison, je crus un instant voir un mouvement et quelque chose de plus noir à l’une des fenêtres du haut ; lorsque je regardai à nouveau, je ne distinguai plus rien.
Cette fois-ci, Barak réussit à allumer sa chandelle du premier coup. En apercevant dans le trou une faible lueur, je me penchai avec précaution. Le puits était moins profond que je ne l’avais cru, guère plus de vingt pieds. C’était étrange de voir Barak au fond de ce long tunnel circulaire. Il était accroupi et regardait des formes sombres entassées au fond. Puis il les tâta. Cette fois-ci, il garda le silence. Je ne distinguais pas son visage.
« Qu’est-ce que c’est ? » soufflai-je.
Il leva les yeux et la chandelle projeta sur son visage des formes étranges. « Des animaux. Il y a un chat et deux chiens. Morbleu, on leur a fait des choses horribles. On a arraché les yeux du chat. Ah, un des chiens… Seigneur, il a été pendu ! » Il se tourna à demi et examina une forme plus grande. Cette fois, il poussa un cri qui fit écho sur les briques.
« Qu’est-ce que c’est ? Dites-moi !
— Je remonte, fit-il brusquement. Pour l’amour du ciel, surveillez la maison. »
Il souffla la chandelle et escalada son échelle. Je regardai la demeure, mon cœur cognant si vite que cela brouillait ma vision. Tout était calme et silencieux. Barak reparut et escalada le bord du puits. Il avait les yeux exorbités.
« Aidez-moi à remettre le couvercle, souffla-t-il. Il faut filer. »
Barak remit les cadenas en place. Après un dernier coup d’œil à la maison
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