Les larmes du diable
début, je ne savais rien sur Ralph ; j’ai d’abord cru qu’il était différent de ses sœurs. Il ne passait pas comme elles de la bienséance la plus parfaite à la cruauté dans l’instant. Il s’est montré amical, à la façon un peu brusque des garçons. Je lui ressemble, vous savez. Peut-être Dieu m’a-t-il choisie pour expier tous leurs péchés, ne croyez-vous pas ?
— Non, répondis-je. C’est vous qui choisissez de souffrir. »
Elle secoua la tête. « Un jour, Ralph m’a emmenée en promenade et m’a montré un renard qu’il avait pris au piège. Il l’y avait laissé pour que l’animal s’affaiblisse. Il avait apporté une épingle afin de lui crever les yeux. J’ai libéré le renard et dit à Ralph que c’était une action mauvaise. Dès lors, il s’est retourné contre moi et s’est ligué avec ses sœurs pour me tourmenter de toutes les manières imaginables.
— Tu aurais dû en parler à Edwin », dit Joseph.
Elizabeth eut un sourire si désespéré qu’il me glaça le sang. « Il n’aurait pas cru une seule parole prononcée contre Ralph ou sesfilles. Et tout ce qui importe à grand-mère, c’est de voir ses petites-filles faire de bons mariages. Sabine a un faible pour le majordome, et grand-mère se servait de lui pour les faire obéir, Avice et elle. Elle veut que les apparences soient sauves jusqu’à ce qu’elles trouvent un bon parti à épouser. » Elle détourna les yeux. « Plaignez les malheureux qui ne sauront ce qu’ils ont épousé que trop tard.
— Et les autres domestiques ? Que savent-ils au juste ? Ces animaux ont dû… pousser des cris horribles. » Brusquement, j’eus la nausée et sentis la bile me monter dans la gorge.
« Ralph faisait des choses abominables dans le puits. Il avait une petite échelle. C’était sa chambre de tortures ainsi que sa cachette. Je crois que les domestiques ont entendu certaines choses mais n’ont rien dit, car ils ne voulaient pas perdre leur place. L’oncle Edwin donne de bons gages, bien qu’il oblige tout le monde à aller à l’église deux fois le dimanche. » Elizabeth avait cessé de pleurer. Son regard avait retrouvé une certaine vivacité. « Je me souviens que Ralph avait parlé de trouver un jeune mendiant pour s’amuser avec lui, mais les filles lui avaient recommandé de bien veiller à ne pas se faire prendre. Il y avait un petit infirme qui mendiait dans notre rue avec sa sœur.
— Sa sœur, c’était Sarah ?
— Oui. Quand on a amené la pauvre Sarah dans la basse-fosse, je l’ai reconnue. Ralph a dû trouver un stratagème pour attirer son frère.
— Seigneur Jésus ! s’écria Joseph, il faut raconter cela au coroner.
— Oui, dis-je. Mais les Wentworth peuvent faire en sorte de retourner la mort du petit mendiant contre Elizabeth. Peut-être feront-ils dire à Needler qu’il ne l’a jamais vu.
— On ne les croira pas, tout de même !
— Le public est monté contre Elizabeth. Vous vous souvenez du compte rendu imprimé, Joseph ? Forbizer ne la relâchera pas comme cela. Et qui a tué Ralph ? Ou alors, était-ce un accident, Elizabeth ? Est-il tombé ? »
Elle se détourna. L’espace d’un instant, j’eus un doute atroce : avait-elle commis ce crime ? Mais dans ce cas, pourquoi Needler avait-il gardé le silence sur ce qu’il avait vu dans le puits ?
« Ralph devait être possédé, estima Joseph. Possédé par un démon.
— Oui, reprit Elizabeth, s’adressant à son oncle pour la première fois. Par le diable ou peut-être par Dieu, puisqu’ils ne font qu’un seul. »
Il la regarda, pantois. « Elizabeth ! C’est un blasphème ! »
Elle se redressa sur ses coudes, en proie à une quinte de toux douloureuse. « Tu ne vois donc pas que c’est ce que j’ai fini par comprendre ? Je sais maintenant que Dieu est cruel et malveillant, qu’Il favorise les méchants, comme chacun peut le voir en regardant autour de lui. J’ai lu le Livre de Job, j’ai lu le récit des tourments infligés par Dieu à son fidèle serviteur. J’ai demandé à Dieu de me dire comment Il peut commettre un mal pareil, mais Il ne répond pas. Luther ne dit-il pas que Dieu choisit qui sera damné et qui sera sauvé avant même que les hommes soient nés ? Il m’a choisie pour être damnée et a décidé que mon châtiment commencerait ici-bas !
— Sottises ! tonna Barak, regardant Elizabeth d’un œil furieux. Cessez donc de vous apitoyer sur vous-même ! »
Elle perdit patience. «
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