Les larmes du diable
désagréable venait de ce puits. Or Joseph m’avait dit que, lorsqu’il avait vu le corps de Ralph chez le coroner, il s’en dégageait une odeur affreuse. Elizabeth, quand Needler, le majordome, est descendu chercher le corps de votre cousin, il a dû voir ce qu’il y avait au fond du puits. Mais il n’a rien dit, et votre onclea fait sceller l’ouverture. » Je m’interrompis. Malgré les larmes qui ruisselaient sur ses joues, Elizabeth avait toujours le même regard, terne et désespéré. Je poursuivis.
« La découverte d’un autre cadavre dans le puits aurait provoqué une nouvelle enquête. Sans doute Needler n’a-t-il rien dit pour protéger quelqu’un. Qui, Elizabeth ?
— Parlez, ma fille, pour l’amour de Dieu ! intervint Barak, avec une rage soudaine. Vous ne voyez donc pas que vous infligez à votre oncle les tourments de l’enfer ?
— Vous retournez devant Forbizer dans trois jours, dis-je doucement. Faute d’explications satisfaisantes de votre part et si vous refusez toujours de parler, vous subirez la presse. »
Elle tourna vers moi un regard vide. « Alors, que la presse m’écrase. Vous ne pouvez rien pour moi, messire. Ni vous, ni personne. N’insistez pas, c’est inutile. Je suis damnée. » Et elle poursuivit avec un calme effrayant : « Autrefois, je croyais en Dieu, Dieu qui prenait soin de toutes les créatures et montrait à l’homme comment il devait agir pour faire le bien, et étudier la Bible pour être sauvé. La Bible que le roi a donnée au peuple. Je croyais que Dieu nous aidait à vivre en ce monde déchu.
— C’est ce que nous devons tous croire, Elizabeth, dit Joseph en serrant ses mains l’une contre l’autre. Oui, c’est ce que nous devons tous croire. » Elle lui lança un regard chargé de pitié, et fit une grimace lorsque ses larmes roulèrent sur sa lèvre coupée.
« Et la justice de ce monde, y avez-vous songé ? demanda Barak. Les meurtriers ne doivent-ils pas être châtiés ? »
Elle ne lui accorda qu’un bref coup d’œil. Cette fois-ci, les paroles de Barak n’avaient pas fait mouche. « Je vous avais dit que ce que vous verriez dans ce puits ébranlerait votre foi », fit-elle en s’adressant à moi. Puis elle s’interrompit, laissant échapper un long gémissement. « D’abord, c’est maman qui est morte dans de grandes souffrances, à cause de la tumeur qu’elle avait dans la poitrine. Puis cela a été le tour de papa. » Elle toussa encore. Je lui offris un bol d’eau, qu’elle refusa d’un geste, continuant à me regarder fixement.
« J’ai cherché le réconfort dans des livres de prières, messire, j’ai supplié Dieu de m’aider à comprendre, mais c’était comme si je priais dans un grand silence noir. Et puis on m’a dit que je n’avais plus de maison, cette maison où j’avais grandi heureuse. J’ai cru que j’irais vivre chez oncle Joseph à la campagne, mais il m’a envoyée chez oncle Edwin.
— C’était pour ton bien, Elizabeth, gémit Joseph. Nous pensions que c’était préférable pour ton avenir.
— Grand-mère et oncle Edwin ne voulaient pas de moi. Ils pensaient qu’avec mes manières rustaudes, je risquais de compromettre l’éducation qu’ils donnaient à leurs enfants pour en faire de jeunes élégants. Ils ignoraient à quel point ils étaient cruels, tous les trois. Ils ignoraient que Ralph torturait tous les animaux sur lesquels il pouvait mettre la main, afin de découvrir les différentes manières de les faire souffrir. Sabine et Avice ont pris mon pauvre Griset pour le lui donner.
— Sabine et Avice ! s’exclama Joseph, incrédule.
— Ralph les avait habituées à lui amener des animaux. Elles trouvaient amusant ce qu’il leur faisait, mais elles n’aimaient pas que du sang ou des poils souillent leurs belles robes. Elles étaient contentes de m’avoir sous la main pour se moquer de moi et me tourmenter, afin de tromper leur ennui. Elles répétaient toujours qu’elles s’ennuyaient mortellement.
— Et votre oncle Edwin ? demandai-je. Et votre grand-mère ? Vous auriez pu vous adresser à eux.
— Grand-mère savait, mais elle faisait semblant de rien, et elle a caché à oncle Edwin la vérité sur la nature de ses enfants. Ce qui comptait avant tout pour lui, c’était qu’ils fassent bonne figure dans le monde. »
Je passai une main sur mon front. « Cela ressemble à une folie, une folie qui les a tous contaminés. Quand vous êtes arrivée…
— Au
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