Les larmes du diable
sourit, les yeux brillants.
« C’est vrai. Tiens, voilà six pence à mettre de côté pour quand celles-ci seront usées. »
Je le regardai rentrer au trot dans la maison. Je me rendis compte que je ne savais rien de lui, seulement qu’il s’était présenté à ma porte et que Joan, trouvant qu’il avait une mine avenante, lui avait donné du travail. Encore un des innombrables orphelins de Londres, sans doute.
Barak apparut et nous partîmes. En descendant Fleet Street, je lui dis que ma brûlure me faisait mal et que j’avais l’intention de consulter Guy après notre entrevue avec Cromwell. Je craignais qu’il ne veuille m’accompagner, par chance, il hocha seulement la tête. Il avait encore le visage marqué par le choc de sa découverte au fond du puits. J’étais surpris de voir combien il avait pris la chose à cœur. Mais il avait jadis été mendiant, lui aussi.
Joseph attendait devant la prison. Avec ses joues creuses mangées de barbe, il paraissait épuisé. Il ne pourrait continuer longtemps ainsi. Je lui dis que j’avais des nouvelles d’Elizabeth, qu’elle allait un peu mieux, ce qui parut le réconforter.
Nous frappâmes et le geôlier se présenta. « Williams ! » cria-t-il. Le gros guichetier apparut.
« Nous voulons voir demoiselle Wentworth, annonçai-je.
— Comment va-t-elle ce matin ? demanda Joseph.
— Je ne sais pas. Nous ne voulons pas attraper sa fièvre, alors personne n’est monté là-haut. Sauf le moricaud, mais sans doute que la fièvre ne les atteint pas, ces gens-là.
— Voulez-vous nous montrer le chemin ? »
Il nous précéda en maugréant. Quel soulagement de ne plus revoir la basse-fosse ! Pendant que nous montions l’escalier en colimaçon, je me tournai vers Joseph. « J’ai du nouveau. Plus exactement, des preuves nouvelles, enfin. Je vais essayer une fois de plus de convaincre Elizabeth de parler. »
Un fol espoir illumina les traits de Joseph. Je le regardai avec gravité. « Je vais devoir aborder avec elle des sujets très pénibles. Des choses qui ne sont pas bonnes à entendre, Joseph, et qui concernent la famille de sir Edwin.
— À votre aise », dit-il en acquiesçant.
Le guichetier nous ouvrit la porte de la chambre d’Elizabeth. La brise entrait par la fenêtre à barreaux et agitait le linge couvrant la petite table. Elizabeth était couchée sur le dos, immobile. Au moins, elle ne délirait plus et n’était plus agitée de mouvements convulsifs. Je pris un tabouret et m’assis, me penchant de façon à avoir le visage tout près du sien. Sa coupure à la lèvre n’était pas refermée, et il y avait une vilaine croûte noire autour. Joseph et Barak restèrent en arrière, observant la scène.
Elle devait être réveillée, car, lorsque je m’approchai, elle ouvrit les yeux. Ils étaient ternes et tristes. Je m’armai de courage.
« Elizabeth, Jack Barak ici présent est descendu voir ce qu’il y avait au fond du puits de votre oncle. » Les yeux de la jeune fille s’ouvrirent davantage, mais elle se tut. « Nous sommes entrés par effraction dans le jardin la nuit dernière pour déverrouiller le couvercle qui avait été mis sur le puits. Barak est descendu et a vu ce qui se trouvait en bas. »
Joseph en resta bouche bée. « Vous êtes entrés dans le jardin !
— C’était la seule façon d’en savoir plus, Joseph. » Je me retournai vers la jeune fille toujours silencieuse. « Nous avons pris des risques afin de découvrir la vérité, Elizabeth. Pour vous. » Je marquai une pause puis repris. « Nous les avons vus. Tous ces pauvres animaux. Votre chat. Et le petit garçon.
— Quel garçon ? demanda Joseph d’une voix que la peur rendait âpre.
— On a trouvé le cadavre d’un petit garçon dans le puits.
— Seigneur Jésus ! » Joseph se laissa tomber lourdement sur le lit. Je vis les yeux d’Elizabeth s’emplir de larmes.
« Je suis certain que ce n’est pas vous qui avez commis ces actes barbares, Elizabeth.
— Jamais ! s’écria Joseph avec fougue, jamais de la vie !
— C’est Ralph ? »
Elle toussa, puis répondit d’une voix aussi faible qu’un soupir : « Oui, c’est lui. »
Joseph porta la main à sa bouche, horrifié. Je vis que l’idée lui était venue, comme à Barak, que c’était là pour Elizabeth un puissant motif de tuer son cousin. Je me hâtai de poursuivre : « Quand je suis allé rendre visite à votre oncle Edwin, j’ai remarqué qu’une odeur très
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