Les Lavandières de Brocéliande
ainsi que les pauvres habitants du château de la Douloureuse-Garde purent fêter leur libération. Ils organisèrent en l’honneur de Lancelot un festin tel que leurs longues journées de disette ne furent bientôt plus qu’un lointain souvenir.
L’abbé Guilloux marqua une pause, les mains jointes devant sa bouche, avant de reprendre :
– Nous sommes prisonniers depuis bientôt quatre ans dans le château de la Douloureuse-Garde. Et nous avons le ventre vide et le cœur en berne, car nous croyons que les noirs soldats de Brandis des Îles ont gagné toutes les batailles et nous maintiendront pour toujours en esclavage. Mais ceci est faux…
Il prit le temps de regarder son auditoire avec toute la ferveur de sa foi, afin que ses paroles s’impriment dans leurs esprits.
– Les nouveaux chevaliers de la Table ronde sont déjà en train d’en découdre avec les ennemis de la France et de la Bretagne, soutenus par l’esprit de la Dame du lac, l’esprit de la liberté et de la résistance… Et bientôt, mes amis, cechâteau de la Douloureuse-Garde sera rebaptisé château de la Joyeuse-Garde…
– Et pensez-vous que Loïc pourrait se joindre à ces nouveaux chevaliers dont vous parlez, mon père ?
L’abbé Guilloux se tourna vers le charbonnier qui, suspendu à ses paroles, en avait oublié de boire son bol de faux café.
– Te sens-tu apte à rejoindre l’ordre des chevaliers de la Table ronde que tu as vus représentés sur le vitrail de l’église, Loïc ? Es-tu prêt à donner ta vie pour libérer le château de la Douloureuse-Garde ? Et jures-tu de toujours rester fidèle à la Dame du lac, la fée de Brocéliande ?
Le bossu jeta un bref coup d’œil à Gwenn, qui l’encouragea d’un sourire, puis il acquiesça vigoureusement, comme s’il était sur le point d’être adoubé par le roi Arthur lui-même. Ses yeux étaient remplis d’exploits de chevalerie et de rêves de gloire, au point que son visage ingrat en était presque beau.
– Tu dois également promettre de ne révéler leur cachette à personne, à l’exception bien sûr de Yann et de Gwenn, qui appartiennent déjà à la chevalerie secrète qui célébrera bientôt le triomphe de la Joyeuse-Garde, précisa l’abbé Guilloux.
– Je promets, fit Loïc d’une voix hachée par l’émotion.
L’abbé Guilloux se dressa. Il se tenait si droit qu’il semblait plus grand qu’il n’était en réalité. Il s’approcha du vitrail flamboyant de l’église.
– Approche, Loïc.
Loïc le rejoignit. Dans la lumière blême qui filtrait à travers le vitrail coloré, il ressemblait à l’un de ces chevaliers de la Table ronde attablés autour du roi Arthur, sous le regard des anges porteurs du Graal. On en oubliait presque sa bosse. Gwenn et Yann échangèrent un bref regard, émusd’assister à cette scène qui semblait surgie d’un très ancien ouvrage orné d’enluminures.
– À présent, mets un genou en terre, charbonnier…
Sans poser de question, le bossu s’exécuta. Ernest Guilloux le regardait avec aménité.
– Jadis, les aspirants à la chevalerie passaient une nuit en prière, les yeux fixés sur la croix formant la garde de leur épée. C’était la veillée d’armes, à l’issue de laquelle ils se confessaient et entendaient la messe. Le temps nous est compté pour ces préliminaires, mais je pense que le Seigneur t’en sera quitte. Il te faut à présent prononcer le serment de la chevalerie, une main posée sur la Bible. Même si j’en ai modernisé quelques détails, le fond demeure identique à l’esprit de la chevalerie éternelle. Es-tu prêt ?
Le bossu approuva en baissant la tête en signe d’humilité.
L’abbé posa le livre saint sur un lutrin et tendit au charbonnier un parchemin sur lequel se trouvaient réunis les termes du serment qui le lierait désormais à la longue lignée des nobles chevaliers.
D’une voix assurée, qui tranchait avec sa timidité coutumière, Loïc déclama un à un les articles :
Je croirai à tous les préceptes de l’Église et j’observerai ses enseignements
Je protégerai l’Église
Je défendrai les faibles
J’aimerais toujours le pays où je suis né, la Bretagne
Je ne fuirai jamais devant mes ennemis ou ceux de mon pays
Je combattrai les méchants avec acharnement
Je remplirai mes devoirs civiques, à condition qu’ils ne soient pas contraires à la loi divine
Je ne mentirai jamais et je serai fidèle à ma parole
Je
Weitere Kostenlose Bücher