Les Lavandières de Brocéliande
serai libéral et généreux
Je serai toujours le champion du droit et du bien contre l’injustice et le mal.
Le recteur de Tréhorenteuc ferma les yeux, murmurant une prière silencieuse, puis, du plat de sa main droite tendue, il donna par trois fois la colée sur la joue et les épaules de Loïc, tout en prononçant ces paroles :
– Au nom de Dieu, de saint Michel Archange et de saint Georges, moi, Ernest Guilloux, humble serviteur du Seigneur tout-puissant, je te fais chevalier, Loïc Le Masle. Sois toujours vaillant, loyal et généreux.
Puis le recteur aida le nouvel adoubé à se relever et le bénit par trois fois du signe de la croix.
– Désormais, ton nom de guerre sera Lancelot. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
Loïc était transfiguré. Gwenn et Yann s’approchèrent pour le féliciter. Ils étaient aussi émus que lui. Le garde forestier lui donna une franche accolade. La jeune fille, plus réservée, lui tendit une main que le charbonnier serra avec chaleur. S’il s’était écouté, il se serait agenouillé devant elle et aurait baisé cette main fraîche qu’elle lui abandonnait. Il lui aurait demandé d’être sa dame afin qu’il combatte pour l’amour d’elle. Mais il n’osa pas. Il ne se sentait pas suffisamment digne d’elle. Pas encore.
L’abbé Guilloux interrompit ces effusions :
– Nous devons nous mettre en chemin sans tarder. Il faut que je sois rentré avant la nuit, car les bois sont très vite envahis de ténèbres en cette saison. Yann, Gwenn, vous pouvez repartir sans crainte. Votre protégé sera à l’abri de ceux qui le recherchent.
– Merci, fit Yann en tendant la main au prêtre. Pouvez-vous simplement nous dire où se trouve le refuge de ceschevaliers qui veillent sur le destin de la Bretagne, mon père ?
L’abbé Guilloux dirigea son regard vers les lointains, au-delà de la fenêtre de la sacristie.
– Ils sont là où se retrouvent les chevaliers en exil. Dans le Val-sans-Retour.
35
Jeudi 4 novembre 1943
La messe d’enterrement d’Annaïg eut lieu le jeudi suivant, en début d’après-midi.
Durant les trois jours qu’avait duré la veillée funèbre, le père Jean avait tenu à seconder Dahud pour que les rituels nécessaires au repos de l’âme de la défunte soient respectés. Le fait que sa mort n’ait pas été volontaire lui avait évité l’abjection de l’ensevelissement dans le « cimetière des suicidés », enclos maudit et distinct du cimetière chrétien, encerclé d’un mur sans ouverture par-dessus lequel il fallait passer le cercueil avant de l’enfouir dans une terre non consacrée, sans croix ni couronnes. Mais les circonstances dramatiques, en grande partie non élucidées, au cours desquelles la lavandière avait trépassé, exigeaient un surcroît de prières et de sacramentaux.
Les « ensevelisseuses », vieilles femmes préposées au bon déroulement des rites mortuaires, avaient dressé dans l’ oté de Dahud la « chapelle blanche ». Après s’être lavé les mains à l’eau bénite, elles avaient couché le corps de la jeune fille sur la table de la cuisine, contre la fenêtre, avant de le recouvrir d’un drap blanc de toile fine. Puis elles avaient suspendu deux autres draps à la poutre maîtresse, de façon à ce qu’ils pendent de part et d’autre de la forme allongée.Des branches de gui et de laurier y étaient épinglées. Ce drap qui servait de linceul à la morte était de la même étoffe que le linge dont on couvrait le pain afin qu’il ne rassisse pas, ou pour le protéger du soleil et de la poussière. Les corps des Bretons cuisaient au four des boulangers de la mort.
Près de la tête du cadavre, un cierge avait été allumé. Il devait être légèrement incliné afin que la cire tombe sur le suaire. Mais il fallait prendre garde, à l’issue de la veillée, de l’éteindre et de ne jamais le rallumer, au risque d’attirer une nouvelle fois la mort dans la maison.
Le premier soir, qui était jour de Toussaint et veille du jour des Morts, les vieilles avaient psalmodié « la complainte des âmes » :
Pauvres gens, ne vous étonnez point
Si nous apparaissons au seuil de votre porte
Pour vous réveiller, si vous êtes endormis.
Pendant que vous êtes dans votre lit, bien à l’aise,
Les pauvres âmes sont en peine.
Vous êtes dans votre lit, doucement étendus,
Tandis que les pauvres âmes sont en détresse.
Un drap blanc, cinq
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