Les Lavandières de Brocéliande
desservi l’image des charbonniers de Brocéliande ? intervint Yann.
– Les « bons cousins charbonniers » étaient pétris d’idées libérales. Ils étaient les francs-maçons de la forêt, hostiles à la Restauration, farouchement antimonarchistes et anticléricaux. On les soupçonnait de complots visant à défaire l’autorité de l’État et de l’Église. Comme ils vivaient seuls dans la forêt, à l’écart du monde, et qu’ils cultivaient eux-mêmes le secret, échangeant entre eux des signes mystérieux, la superstition populaire en a fait progressivement des sorciers et des meneurs de loups.
– Je… je n’ai jamais entendu parler de tout ça, se justifia Loïc comme s’il était accusé de quelque crime odieux. Je ne suis pas un sorcier et je n’en ai jamais rencontré.
– Je le sais bien, trancha le recteur. Ce que j’essaye de vous expliquer, c’est que même si le mouvement clandestin de la charbonnerie a disparu après 1830, la méfiance est demeurée et s’est déplacée du domaine de l’agitationpolitique à celui de la sorcellerie. La première a existé, la seconde non, mais le résultat a été le même : on s’est toujours défié des charbonniers. Je dois confesser, hélas, que l’Église n’a rien fait pour dissiper ce malentendu, bien au contraire. Leur réputation de bouffeurs de curés leur collait à la peau.
– Je ne pense pas que vous ayez été complice de ces calomnies, mon père, fit remarquer Yann qui avait souvent eu l’occasion de constater par lui-même l’extrême tolérance du prêtre.
– Je me suis toujours gardé de juger, pour ne pas être jugé à mon tour, répondit l’abbé Guilloux. Seule la vérité importe. Mais elle se dissimule sous les voiles du mystère. Or, un mystère est par nature inexplicable, et doit le demeurer. Tenter d’expliquer un mystère, c’est à coup sûr aboutir à un mensonge… Mais la vérité des êtres se révèle autrement que par des mots.
Le recteur se planta alors en face du bossu et le scruta avec une extrême attention, comme s’il cherchait à lire jusqu’au tréfonds de son âme. Loïc lui rendit son regard sans se troubler. Il ressentait la bonté qui émanait du curé et ne songeait ni à fuir ni à baisser les yeux, comme il était accoutumé à le faire lorsqu’il se sentait en danger.
Cet examen muet sembla satisfaire l’abbé qui, de sa voix douce mais ferme, déclara :
– Tu as l’âme pure, mon garçon, ça me suffit. Quoi que tu aies fait, je m’en moque. Je t’aiderai, si je le peux. Ou plus exactement, Dieu t’aidera par mon intermédiaire…
Puis il se tourna vers son ami Yann :
– Je t’avais parlé de mon projet de faire de Tréhorenteuc l’église du Graal, n’est-ce pas, Yann ? Eh bien, le rêve commence à devenir réalité. Viens voir…
L’abbé Guilloux entraîna Yann, Gwenn et Loïc à l’intérieur de l’église en réfection. Les trois visiteurs n’en crurent pas leurs yeux : dans le chœur du lieu saint, un vitrail flambant neuf venait d’être posé. Ils se seraient attendus à y voir figurer la Cène réunissant Jésus et ses apôtres, ou quelque autre épisode évangélique, au lieu de quoi, le vitrail représentait les chevaliers de la Table ronde partageant le pain et le vin en compagnie du roi Arthur, tandis qu’au-dessus d’eux deux angelots tenaient entre leurs mains une coupe d’un beau vert émeraude. Une inscription au sommet du vitrail annonçait : « APPARITION DU SAINT-GRAAL . »
– C’est Henri Uzureau, un verrier de Nantes, qui l’a réalisé sur mes instructions, expliqua Ernest Guilloux. J’y ai laissé le maigre héritage que m’a laissé l’épouse de mon parrain, après que son fils, entré dans la Résistance, eut été tué accidentellement par un franc-tireur alors qu’il n’avait que vingt-deux ans.
– C’est magnifique, reconnut Gwenn. On se croirait dans un manuscrit à enluminures consacré aux légendes celtiques. Ou dans un album illustré de contes de fées…
– Et pourtant, rien n’est plus proche du message évangélique que cette Table ronde, réunissant les chevaliers les plus braves et les plus pieux autour du plus noble des rois, Arthur. Lancelot, Gauvain, Yvain, Galaad, Perceval… Ils sont, dans la mythologie celtique, l’équivalent des saints Pierre, Jean, Luc, Jacques ou Matthieu. Et Arthur couronné n’est autre qu’une allégorie du Christ.
– Et le Graal ? demanda
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