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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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j’mène, plus celle des autres.
    Dahud soliloquait en arpentant l’ oté de long en large, se déplaçant de la table au gwele kloz , du gwele kloz au dressoir, du dressoir à la table de bois vernie. Elle ne s’interrompait que pour fourrager le fourneau de ses pincettes, aligner ses bocaux à herbes sur l’étagère, vérifier le mécanisme de la pendule, remettre en place le balai de bourdaine qui traînaitdans un coin, ouvrir puis refermer la contre-porte de l’ usset . Lorsqu’elle passait devant le miroir piqueté au-dessus du buffet, elle s’attardait une seconde et adressait une œillade à son reflet. Puis elle reprenait son manège incohérent de mouche zonzonnante, de papillon nocturne affolé par la lumière du jour.
    Le baron ne s’était pas assis. Il demeurait debout, près de l’entrée, appuyé sur sa canne à tête de loup, son chien noir à ses pieds, déjà prêt à partir. Il n’avait ni le temps ni le désir de s’attarder dans cet antre qui ne faisait que lui rappeler avec douleur un passé révolu.
    – C’est la dernière fois que nous nous voyons, Maëlle. Je vais partir, reprit Hubert d’une voix sourde.
    Dahud éclata d’un rire sec, comme si son hôte venait de lâcher quelque bonne plaisanterie.
    – Eh bien, bon voyage ! répondit-elle en levant les bras au ciel, dans un geste fataliste. Et où c’que tu t’en vas comme ça ? À Rennes ? Ou bien à Berlin, pourquoi pas ? Il paraît qu’t’as des amis par là-bas. En tout cas, ça t’f’ra pas d’mal. Si tu voyais la tête que t’as. Une vraie goule de déterré !
    Disant cela, elle tira sa langue sèche entre ses gencives noircies, en une sorte de grimace atroce. Le baron réalisa l’inanité de sa démarche. Dahud sombrait dans une forme de démence qui l’excluait du monde qui l’entourait. Elle n’avait plus rien de la jeune fille piquante aux boucles brunes qui se massait les mollets près de la fontaine de Barenton. Elle n’était plus qu’une pauvre vieille que le malheur avait rendue folle et qui cherchait un répit à ses souffrances en s’activant sans raison. Pourtant, il ne pouvait quitter cette pièce sans avoir délivré son ultime confession à son amie d’enfance.
    – Écoute-moi, Maëlle, commanda Hubert d’une voix forte en frappant le sol de sa canne. Tu ne me verras plus, mais avant que je parte, tu dois savoir certaines choses…
    La lavandière cessa son babillage et jeta au baron un regard en dessous. Qu’allait-il lui sortir, encore ? Quelles fariboles allait-il inventer pour l’entortiller ?
    Elle s’immobilisa au milieu de la pièce, bras croisés, l’air bravache, et lança :
    – Bon, alors finissons-en une bonne fois. Vas-y. J’t’écoute…
    Le baron prit sa respiration, puis énonça d’un seul trait :
    – Je sors de chez le notaire de Mauron, maître Le Bihan. Je viens de signer un acte par lequel j’abandonne toutes mes propriétés et mes biens au profit de Gwenn Luzel, de son vrai nom Gwenn Gaël de Montfort Brécilien, la fille unique de mon frère Edern, ma propre nièce. C’est pourquoi je dois partir. Le château de Ker-Gaël ne m’appartient plus…
    Dahud marqua un temps d’arrêt, estomaquée par ces révélations, puis se laissa tomber sur le banc.
    – Qu’est-ce que tu m’racontes ? C’est quoi, ces dioteries  ?
    – Ce n’est que la stricte vérité, Maëlle. Avant de partir au Chemin des Dames, en 1917, Edern a épousé clandestinement Solenn, morte neuf mois plus tard en mettant au monde une fille, Gwenn.
    – Quoi ? Gwenn Luzel, la fille d’Edern et de Solenn ?
    – Personne ne l’a su. Le secret a été bien gardé. Mon père, le vieil Alphonse, a tout fait pour enterrer l’affaire et que l’héritage reste dans la famille. Il s’était toujours opposé à l’union d’Edern et de Solenn. Alors, tu penses… Après leur mort, il ne risquait pas de reconnaître leur enfant comme sa petite-fille légitime. C’est Yann qui l’a adoptée et élevée…
    – Je croyais que c’était une simple orpheline de l’Assistance, bredouilla Dahud d’un air perdu. Alors Gwenn est la…
    – La cousine de Philippe, oui. Ils sont du même sang. C’est la raison, sans doute, de l’amitié qui les a si longtemps rapprochés. Ils sont tous deux des Montfort. Ils sont de la race des nobles.
    La lavandière secouait la tête, refusant d’admettre ces révélations qui achevaient de perturber son sens des

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