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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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philosophiques ou simplement humanistes ne viennent qu’après. Les Bretons regardaient leurs envahisseurs d’un œil d’autant plus noir qu’ils étaient affamés.
    Les habitants de Concoret étaient pourtant accoutumés depuis longtemps à la présence des soldats étrangers. À lasortie nord du village, sur la route de Gaël, le camp d’aviation du Point-Clos, créé en 1925 pour assurer des missions d’observation aérienne, avait été réquisitionné par la Luftwaffe en 1940 pour y abriter soixante bombardiers Dornier, quarante transports de troupes Junkers, des chasseurs Messerschmitt et une centaine de planeurs. Les Allemands y avaient établi un centre d’entraînement de parachutistes ainsi qu’une école de pilotage destinée aux pilotes du Jagdgeschwader 27 . Ce 27 e escadron de chasseurs, surnommé Afrika , avait prêté main-forte à la Deutsches Afrika-Korps du général Rommel lors de la Guerre du désert conduite en Afrique du Nord, jusqu’à sa reddition en mai 1943. Les Allemands avaient agrandi le camp et prolongé les pistes d’atterrissage, construit neuf nouveaux hangars et des baraquements pour loger cinq cent cinquante aviateurs professionnels, sans compter les troupes de S.S. dont les chars stationnaient alentour. À eux seuls, les Allemands doublaient le nombre d’habitants de la commune. Tout cela faisait du monde, beaucoup de monde et de bouches à nourrir. Beaucoup trop.
    L’un des soldats reconnut Loïc et le héla joyeusement. À l’exception des S.S., en minorité dans la région, les Allemands résidant au Point-Clos étaient tous des membres de la Wehrmacht, des soldats, des aviateurs qui s’intéressaient davantage à la mécanique qu’à l’idéologie de leur Führer. Parmi eux, il y avait un grand nombre de jeunes recrues qui n’avaient jamais été au front. Leurs uniformes arboraient la croix gammée mais leurs mains étaient propres et n’avaient pas fait couler le sang. Ils avaient à peine plus de vingt ans et, plus qu’à la guerre, ils songeaient aux parents, aux amis et aux fiancées qu’ils avaient laissés en Forêt-Noire ou en Bavière. Lassés des encasernements et des chambrées où ils étaient confinés, ils ne cherchaient qu’à sympathiser avec lespopulations locales, qu’ils considéraient non comme leurs ennemis mais comme leurs hôtes et, dans leur naïveté de jeunes gens en exil, ils s’étonnaient de se voir rabroués.
    Le jeune soldat qui avait salué Loïc était préposé à l’entretien des gazogènes. C’est lui qui recueillait le charbon de bois auprès des charbonniers. Ces derniers avaient pour principal, voire pour seul employeur, le camp militaire du Point-Clos. Il s’en était tout naturellement ensuivi une certaine complicité entre ces deux-là, mais cette familiarité était mal perçue par les villageois qui considérèrent le bossu avec un surcroît de dégoût. Ne pouvant s’en prendre aux plus forts, ils se vengeaient sur de plus faibles qu’eux. La faim, l’envie, la colère et la peur n’incitent ni à la tolérance ni à la sagesse.
    Loïc répondit au jeune Allemand par un hochement de tête, conscient du fait qu’en agissant ainsi il se mettait à dos la population. Il pouvait le lire sur les visages fermés, dans les sourcils froncés, les regards qui jugent. De toute façon, il était trop tard. Et puis, pourquoi aurait-il fait semblant de ne pas connaître un garçon qu’il voyait chaque semaine et qui ne lui avait jamais rien fait de mal ? Loïc était pauvre, il était seul au monde, rejeté de tous, mais il gardait au cœur la fierté de ne pas mentir et de ne pas céder à l’hypocrisie.
    Leur ravitaillement effectué, les camions allemands quittèrent la place avec de grandes pétarades et des fumées noires. Le silence qui suivit leur départ était de plomb. Il fut brisé par une vieille commère qui, pointant son doigt crochu vers le charbonnier, s’écria :
    – Vous avez vu ? Le bossu est copain avec les Boches ! Il doit bien se régaler sur notre dos, tandis qu’on n’a rien pour faire le fricot ! Et il vient nous narguer, en plus ! Quelle effrontise  !
    Quelques vieux maugréaient dans leur barbe, hochant la tête en signe d’acquiescement. Les jeunes virent là une occasion de faire montre d’un courage qui leur avait fait défaut tout à l’heure, lorsque les Allemands étaient présents. Trois d’entre eux s’approchèrent du charbonnier et se mirent à le

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