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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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l’intérieur du château de Ker-Gaël conservait un prestige qui, en ces temps de disette, faisait figure d’aisance.
    Le jeune homme fit claquer les talons de ses bottes sur le sol usé par des générations de Montfort et se dirigea aussitôt vers un petit salon aux poutres noircies dont les fenêtres à meneaux donnaient sur le lac aux eaux scintillantes sous le soleil de midi. Une femme sans âge et sans couleur, emmitouflée dans un châle malgré la bonne flambée de bûches qui crépitait dans l’âtre, tirait l’aiguille sur un ouvrage de tapisserie.
    Lorsque le jeune homme entra dans la pièce, elle l’accueillit avec un pâle sourire.
    – Te voilà enfin, mon Philippe. Je me languissais de toi…
    Philippe se pencha vers elle et la baisa au front.
    – C’est parce que vous vous ennuyez dans cette grande baraque, mère. Vous ne sortez jamais…
    – Pour aller où ? se défendit la femme d’un air navré. Il n’y a rien alentour, que des arbres, des pierres et de l’eau. Et puis, j’ai toujours froid, même en plein été.
    Elle ramena les pans de son châle sur sa poitrine et désigna à son fils un fauteuil qui lui faisait face.
    – Assieds-toi près de moi, Philippe. Tu es toujours par monts et par vaux. Je me sens seule, si seule.
    – Vous n’êtes pas seule, mère. Vous avez Rozenn. Et le baron, bien sûr. Sans compter les quelques domestiques qui nous sont encore fidèles, malgré les maigres gages que nous leur allouons…
    La mère du jeune homme eut un regard triste.
    – Tu as raison, Philippe, notre personnel n’est plus ce qu’il était avant-guerre. Tant de choses ont changé. Ah ! du temps de ton grand-père, c’était autre chose ! Le baron Alphonse Gaël de Montfort Brécilien savait tenir son rang ! L’été, le canotage sur le lac, avec ces dames de la bonne société de Rennes en villégiature. L’automne, les chasses à courre, les grandes réceptions de quatre-vingts couverts. Les cors se répondant dans la forêt, les meutes de chiens aboyant au moment de la curée, les tirs de fusils délogeant les grives. Et il avait soin de préserver les anciens usages féodaux ! Le baron Gaël de Montfort Brécilien avait rétabli le droit de lever une gerbe sur chacun des hommes du village et de leur retenir un porcelet sur trois, tous les trois ans. C’était le bon temps. Tandis qu’aujourd’hui…
    Elle esquissa un geste las de la main, impuissant à évoquer à lui seul les splendeurs du passé.
    – Quant au baron, poursuivit-elle, il ne sort pas davantage que moi, mais je ne le vois pas plus souvent pourautant. Il demeure la plupart du temps enfermé là-haut, dans son bureau, avec pour seule compagnie son chien de malheur, à ruminer je ne sais quoi. Ah ! pour ça, tu ne tiens pas de ton père… Heureusement que tu es là pour apporter un peu de vie dans ces vieux murs.
    – Vous oubliez Rozenn, mère. Vous l’aimez bien, je crois.
    La mère de Philippe jeta un coup d’œil désabusé à son fils.
    – C’est toi, mon petit, qui est censé l’aimer. Je te rappelle qu’elle est ta fiancée…
    Philippe joignit ses doigts fuselés en triangle et tourna la tête vers la fenêtre pour échapper au regard de sa mère.
    – … et qu’elle porte un enfant de toi.
    Le jeune homme tapota ses doigts d’un air agacé.
    – Je sais, mère, je sais… Et nos fiançailles, tout comme cette grossesse, doivent être tenues cachées, pour ne pas faire jaser les gens. Son notaire de père verrait ses pratiques fuir son étude, si l’état de sa fille venait à s’ébruiter. C’est pourquoi il préfère la savoir cloîtrée dans un château perdu dans les bois.
    – Elle n’est pas cloîtrée, Philippe…
    – Non, elle a la liberté d’aller et venir entre les murailles de Ker-Gaël, mais elle n’a pas l’autorisation de les franchir. Et elle garde la chambre chaque fois que nous recevons de la visite.
    – Oh, les occasions sont bien rares…
    – Je croyais que demain soir, justement, nous avions un invité…
    La mère de Philippe interrompit son ouvrage. La main qui tenait l’aiguille resta un instant suspendue en l’air, comme si elle venait d’être prise en défaut.
    – Tu as raison, Philippe. J’avais oublié… La cuisinière a été prévenue, au moins ? J’espère qu’elle a pu se procurer un poulet ou un morceau de porc. Ou, encore mieux, un cuissot de sanglier. Ah ! Du temps de ton grand-père, c’étaient douze plats qui se

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