Les Lavandières de Brocéliande
Savonné.
8 . Caleçon.
9 . Diarrhée.
10 . Vin rouge.
11 . Enivrés.
12 . Eau-de-vie.
13 . Noyé.
14 . Bossu, voûté.
15 . Surnom donné au diable dans la région de Mauron et de Concoret.
16 . Étendre le linge.
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Loïc Le Masle pressa le pas, fuyant les belles lavandières, le rouge aux joues malgré la couche de suie qui les recouvrait. Chaque fois qu’il venait au village, pour l’approvisionnement en nourriture, il avait droit aux piques et aux moqueries des impitoyables jeunes filles. Il aurait pu faire un détour, ou bien choisir un autre moment de la journée où le lavoir fût déserté, mais une étrange impulsion le poussait à braver rires et quolibets pour le plaisir fugace, mêlé de honte, de regarder de loin ces belles sans pitié. La forêt où il vivait telle une bête des bois n’abritait aucune présence féminine, et il souffrait de ne jamais jouir de la contemplation de frais visages, de longues chevelures parfumées et de corsages bien dessinés. À trente ans passés, il n’avait jamais connu de femme. Aussi désirables qu’elles étaient cruelles, elles stimulaient ses désirs autant qu’elles ravivaient sa honte.
Car Loïc avait honte. Honte de son allure de mendiant, honte de sa peau tannée par le feu, empestant la fumée et le charbon de bois, honte des traînées de suie qui grimaient son visage et ses mains, et résistaient aux bains prolongés et aux brosses les plus dures, honte de la bosse qui lui pesait sur les épaules et l’obligeait à marcher cassé en deux, honte de la façon dont les villageois le traitaient de haut et dont les jeunes filles le repoussaient, en ayant soin de croiser leursdoigts derrière leur dos pour éviter qu’il ne leur lance un sort.
On disait les charbonniers de Brocéliande un peu sorciers. Leur voisinage constant avec le feu alimentait des superstitions ancestrales. Ils étaient fiers, saluaient en rejetant la tête en arrière et portaient un anneau d’or à l’oreille. D’un simple regard, ils pouvaient vous jeter le mauvais œil. On disait aussi qu’ils étaient des « menou d’loups », des meneurs de loups, et que le diable et les lutins se déguisaient parfois en charbonniers pour jouer des tours aux bons chrétiens. Lorsque les enfants n’étaient pas sages, on les menaçait de les donner aux charbonniers, présentés comme des croque-mitaines. Et puis, comme l’avait souligné Annaïg, c’étaient des étrangers.
Étrangers, ils l’étaient en effet. Non qu’ils fussent originaires de lointaines contrées, puisqu’ils étaient pour la plupart natifs de la région de Camors, au sud du Morbihan. On les appelait pour cette raison les mahos . Ils avaient le tort de ne pas appartenir au pays de Léon et de parler entre eux un patois où le gallo se mélangeait au breton. Bref, ils étaient des hors-bordiens 1 , ce qui aurait suffi à justifier la défiance à leur égard, s’ils n’avaient en outre été des hommes des bois ensuiffés de charbon et des jeteurs de sortilèges.
Loïc redoutait ces croyances de bonnes femmes. Il souffrait de l’isolement et de l’universel rejet auxquels elles le condamnaient, lui et les siens. Il était traité comme un paria, un lépreux, marqué du sceau d’infamie de son visage barbouillé et de son encombrante bosse.
Avant le lever du jour, il avait quitté sa loge, humble hutte de bois faite de branchages et de terre qui lui servait de logis. Son lit consistait en une simple planche posée surdes rondins et son matelas n’était qu’un tas de bruyère sèche. Pas d’eau, sinon les ruisseaux qui irriguaient les veines de la forêt de leur sang limpide. Pas d’autre chauffage que la lente calcination des branches entrelacées jusqu’à former de larges meules bien rondes et bien galbées qu’on appelait des fouées . Loïc se disait parfois qu’elles ressemblaient à des seins de femme. Les seins de la forêt, tout hérissés d’épines, qui ne donnaient, en guise de lait, que de la fumée et du charbon. La forêt n’était pas une mère très tendre.
Loïc avait appris le métier de charbonnier alors qu’il était encore enfant. Son père lui avait transmis les secrets de cet art méconnu, jalousement gardés par des générations de gardiens du feu. Car telle était la fonction primordiale des charbonniers : maintenir le feu en vie, faire en sorte que jamais il ne s’éteigne ni ne s’emballe, et transformer le bois en charbon, comme les anciens
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