Les Lavandières de Brocéliande
houspiller.
– Va donc te débarbouiller, face de loup ! T’as rien à faire ici…, fit l’un.
– Va-t’en, sacré fi de putache 4 ! renchérit le deuxième.
– Tu nous as jeté des sorts à force de fricoter avec le gripi 5 ! ajouta le troisième.
Ils commencèrent à le bousculer, à le tirer par les pans de sa veste en loques, à le forcer à lâcher le havresac destiné à accueillir les quelques chanteaux de pain qu’il était venu quérir. Loïc les laissait faire, non par lâcheté, mais parce qu’il pressentait que toute résistance aurait pour effet d’attiser la hargne des vilains et de justifier leurs calomnies.
Soudain, l’un des trois sacripants le poussa par-derrière. Loïc s’affala face contre terre, ce qui eut pour effet de déclencher les rires de ses tourmenteurs, auxquels firent échos les ricanements des commères. Après tout, il l’avait bien mérité, ce charbonnier de malheur, ce bossu du diable.
– Eh, t’as la goule 6 bien embrenée, à c’t’heure ! Ça te change du frazi 7 !
Les rires reprirent de plus belle, gagnant à présent les enfants qui s’amusaient de voir l’escogriffe humilié. Leurs parents les avaient suffisamment effrayés en leur racontant de sombres histoires où les charbonniers s’ enmorphosaient en grandes bêtes. Ils prenaient à présent leur revanche en se raillant de celui qui avait alimenté leurs cauchemars. L’un d’eux, un grand dadais au visage criblé de son, ramassa un caillou et le jeta sur l’homme à terre. La pierre rebondit sur la bosse avant de rouler à côté.
– Ça porte bonheur de toucher la bosse d’un bossu ! criailla une vieille édentée dont la coiffe lui tombait sur le front.
Ce fut comme un signal. Tous les garnements suivirent l’exemple de leur aîné et se mirent à caillasser le charbonnier, qui plaça ses deux mains sur la tête pour tenter de se protéger.
Les adultes assistaient à ce lynchage sans réagir. Se fussent-ils écoutés qu’ils eussent à leur tour lapidé le bossu. Mais un sursaut de retenue les empêchait de prêter main-forte aux garçailles qui avaient la chance de bénéficier de l’impunité due à leur jeune âge.
– Hou ! Le bossu ! Hou ! Hou ! Hou ! piaillaient méchamment les gamins en visant leur cible trop facile.
Gwenn parvint au village sur ces entrefaites, charriant sa brouette de linge. De loin, elle ne vit que l’attroupement des villageois faisant cercle autour des enfants qui s’acharnaient sur leur proie. Elle crut tout d’abord à quelque chat malmené par les gosses. Ils étaient coutumiers du fait, et la jeune femme était souvent intervenue pour mettre fin aux tortures dont étaient victimes des matous pelés et galeux. Mais en approchant davantage, elle s’aperçut que ce n’était pas un simple chat qui subissait la cruauté des enfants, mais ce pauvre Loïc, ratatiné sur lui-même comme une tortue dans sa carapace, dont le dos bombé recevait un déluge de cailloux.
Le sang de Gwenn ne fit qu’un tour. Que l’on se moque du bossu et qu’on le conspue, cela la mettait mal à l’aise.Mais qu’on s’en prenne à lui physiquement et qu’on le rosse publiquement, c’en était trop. La méchanceté et la lâcheté humaines avaient ses limites qui, aux yeux de Gwenn, venaient largement d’être dépassées. Lâchant les bras de sa brouette, elle se saisit de son battoir et, bousculant les paysans qui observaient sans émois ce spectacle navrant, se précipita vers les garçons, en les menaçant de son morceau de bois.
– Allez-vous cesser, bande de sales mioches ? C’est comme cela que vos parents vous ont éduqués ?
Il y eut quelques grondements de désapprobation dans les rangs des villageois dont la responsabilité était ainsi mise en cause. Gwenn se retourna vers eux.
– Et vous, qui êtes censés donner l’exemple, n’avez-vous pas honte de laisser vos enfants tourmenter un pauvre homme qui ne vous a rien fait ? Tout bossu qu’il est, il est meilleur que vous tous réunis !
C’est alors que retentit le martèlement syncopé d’un galop de cheval. Un cavalier en costume de chasse, monté sur un superbe alezan, fit irruption sur la place du village. Il s’agissait de Philippe de Montfort, de retour d’une chevauchée dans les bois. En un clin d’œil, il prit conscience de la situation : le bossu étendu à terre, les enfants qui avaient encore en main des poignées de cailloux, les villageois
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