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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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y avaitbien quelques ermites, aussi, des hommes de Dieu qui avaient choisi de fuir la compagnie des hommes.
    Au Moyen Âge, c’était une forêt privée. Elle avait appartenu aux rois de Bretagne, le roi Salomon et le roi Judicaël, plus tard à des seigneurs et à des propriétaires terriens jaloux de leurs prérogatives imposant des règles strictes quant à la façon de se comporter sur leurs terres. Ainsi, les gens du peuple, à part les bûcherons, n’avaient pas le droit d’arracher les plantes ou de toucher aux arbres. La seule concession qui leur était accordée consistait à ramasser le mort-bois, le bois mort tombé à terre qui leur servait à alimenter le feu. Ils pouvaient également cueillir les ajoncs, la bruyère et les genêts dont ils faisaient des paniers ou avec lesquels ils bâtissaient les chaumes de leurs toitures. Lorsque Yann emmenait Gwenn dans la forêt pour glaner des ajoncs blonds, il lui disait : « Petite, la forêt est généreuse envers les pauvres, elle leur donne ce dont ils ont besoin pour survivre. Mais il faut la respecter. Ne casse jamais une jeune ramure et ne grave jamais ton nom sur un tronc d’arbre avec un canif, cela fait du mal aux arbres. Sais-tu combien il faut de temps pour faire un chêne ? Cent ans pour qu’il lève, cent ans pour qu’il vive, cent ans pour qu’il meure. Nous sommes bien peu de chose, à côté… »
    Yann lui avait expliqué qu’en réalité il n’y avait pas une forêt, mais plusieurs. Il y avait tout d’abord la forêt « réelle », celle dont il assurait la protection en tant que garde forestier, avec ses étangs, ses ruisseaux, ses arbres à perte de vue, ses chênes centenaires, ses hêtres au tronc couvert d’argent, ses frênes et ses charmes, ses pins qui demeuraient verts toute l’année. Ses animaux, aussi : les sangliers, les renards, les blaireaux, les oiseaux, les biches, les chevreuils. Et puis les cerfs, bien sûr… Entendre le brame du cerf au début de l’automne était une expérience inoubliable. Jadis, il y avaitmême eu des loups. Les derniers avaient été tués avant la fin du XIX e  siècle, mais ça ne faisait rien : quand le ciel s’embernait 1 , que la brume effaçait les contours de la forêt, on pouvait encore ressentir l’effroi des anciens qui redoutaient ces bêtes sauvages. La mémoire de ces fauves était d’ailleurs restée dans les noms de certains lieux-dits de la forêt que Yann désignait à Gwenn : la Huche-au-Loup, par exemple. Naguère, on disait que les gens huchaient 2 au loup. Ou bien encore le Loup-Pendu, car on avait coutume de pendre le cadavre d’un loup aux branches d’un arbre pour éloigner ses congénères.
    Les animaux de la forêt sentaient la présence de l’homme à distance et s’en défiaient, à cause des chasseurs notamment, mais ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre de Yann ni de Gwenn. Ils ne leur voulaient aucun mal, au contraire. Yann avait montré à la jeune orpheline comment sauver les oisillons tombés du nid ou poser une attelle à la patte d’une bête blessée. Un jour, il lui enseigna même la façon de nourrir une petite corneille en lui donnant des vers à la becquée, comme l’aurait fait sa mère.
    Et puis, à côté de la forêt réelle, il y avait la forêt imaginaire. Pour y pénétrer, il fallait ressentir en soi une réceptivité, une ouverture au merveilleux. Il suffisait d’un rien : franchir la porte enchantée que forment deux arbres aux troncs jumeaux, marcher sur l’herbe d’ égaire , l’herbe d’égarement qui vous conduisait tout droit vers l’autre monde, s’assoupir à l’ombre d’un houx ou sous les branches du gui, que récoltaient jadis les druides avec leur serpe d’or. Qui sait ? On pouvait alors apercevoir, entre deux clignements d’yeux, des fées en train de voleter dans l’air comme deslucioles. On pouvait aussi espionner les colonies de korrigans, les lutins de la lande, lorsqu’ils sortaient des mégalithes et des pierres levées qui leur servaient de demeures pour danser en rond toute la nuit en chantant une chanson dont ils ne connaissaient pas la fin.
    Avec l’apprentissage de la nature, Yann avait inculqué à Gwenn le goût de la solitude et une certaine méfiance vis-à-vis du genre humain. Il faut dire que, hormis sa protégée, Yann ne fréquentait personne. Il passait plus de temps en compagnie des arbres et des bêtes que dans la société des hommes. Avec l’âge, cette

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