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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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Mais elle n’osait l’interroger, de crainte de l’effaroucher et de mettre en péril leur fragile complicité. Et puis, ce château de contes de fées où elle était retenue valait à lui seul le sacrifice de sa liberté. Rozenn se voyait comme la princesse du conte de Mme d’Aulnoy, enfermée dans unetour où elle recevait la visite de l’oiseau bleu. À défaut de la vivre, elle rêvait sa vie en couleurs pastel.
    La méditation de la jeune fille fut interrompue par des cris provenant du rez-de-chaussée du château, suivis de pas précipités et de portes ouvertes à la volée. Elle sortit de sa chambre et se pencha au-dessus de la rambarde de l’escalier en bois patiné.
    – À l’aide ! Monsieur Philippe a un malaise !
    Rozenn reconnut la voix de Françoise. Les domestiques, déjà, s’affairaient auprès du jeune homme.
    La jeune fille aurait bien voulu descendre, mais elle se contint. Elle savait que son fiancé était sujet à des sortes de crises qui le défiguraient. Des convulsions le jetaient parfois à terre, le corps raidi comme une planche, les yeux blancs, les dents serrées, la bouche suintant d’une sorte de mousse malsaine. Cela lui arrivait lorsqu’il était contrarié ou se mettait en colère. Les crises ne duraient jamais longtemps, et Philippe finissait par reprendre ses esprits, oubliant même son malaise passé. Mais le spectacle qu’il offrait dans ces moments-là était effrayant. Rozenn ne reconnaissait plus son fiancé. Il semblait avoir subi quelque métamorphose surnaturelle, comme dans ces histoires de grands-mères où les hommes se changent en loups ou en crapauds. Philippe, tout à coup, devenait un autre, un être à la fois terrible et pitoyable qui n’avait plus rien d’humain. On eût dit une bête ou l’un de ces esprits malfaisants qui hantent la lande à la nuit tombée. Il avait alors le même masque grimaçant que lorsqu’il avait pris avec elle son plaisir douloureux, et Rozenn faisait entre les deux un rapprochement, bien qu’elle en ignorât le sens. Cela n’ajoutait à ses doutes qu’une interrogation de plus, à laquelle personne ne répondait.
    Le martèlement d’un bâton heurtant le sol lui fit tourner la tête. Dans l’encadrement de la porte du bureau voisin setenait le baron Hubert de Montfort. Une blessure remontant à l’enfance l’avait laissé estropié. Il ne se déplaçait plus, avec difficulté et en boitant bas, qu’en s’appuyant sur une canne dont le pommeau d’argent représentait une tête de loup. De velours noir vêtu, hiver comme été, le visage assombri d’une barbe poivre et sel qui lui donnait l’apparence d’un vieillard – bien qu’il n’eût pas encore, à une année près, dépassé le demi-siècle –, le baron avait le don, par sa seule présence, de mettre Rozenn mal à l’aise. Il ne lui parlait jamais, ou presque, mais, quand il la croisait, son regard s’allumait d’étranges lueurs sombres qui faisaient frissonner malgré elle la jeune fille. À ses côtés se tenait en permanence un gros chien noir, seule compagnie que tolérât le baron, dont les yeux où se mêlaient la cruauté et la gourmandise semblaient à l’image de ceux de son maître. Il l’avait simplement nommé Kidu, qui signifie « chien noir » en breton.
    Kidu était sans race définie. Certains disaient qu’il s’agissait d’un loup, que le baron avait jadis recueilli dans les bois et qu’il avait gardé près de lui. C’étaient des racontars, bien sûr, car il n’y avait plus de loups en forêt de Brocéliande depuis un siècle, mais la légende s’était forgée, et en Bretagne les légendes ont la tête dure et la vie longue. Le baron Hubert de Montfort était un véritable loup-de-brousse 1 ; il était donc normal qu’il eût à se côtés, en guise de chien, un loup, même si les loups n’étaient plus.
    Loup ou chien, Rozenn en avait peur, comme elle avait peur de l’homme à la canne et aux regards un peu trop appuyés. Ni l’un ni l’autre ne lui avaient jamais fait aucun mal, mais elle préférait éviter leur compagnie. Elle n’aurait su expliquer d’où lui venait cette angoisse sourde qui latenait aux tripes, comme si le vieil homme et l’animal incarnaient par leur seule existence un danger diffus dont la jeune fille devait à tout prix se garder.
    En bas, on continuait à s’agiter autour de Philippe souffrant. Rozenn pensait que c’étaient les cris de Françoise qui avaient alerté le

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