Les Lavandières de Brocéliande
tout, Yann était bon. Il avait toujours pris soin d’elle et lui avait transmis l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur cette terre. Le reste était sans importance.
Mais aujourd’hui, les choses étaient différentes. Gwenn ne le houspillait plus comme lorsqu’elle était plus jeune, elle ne montrait aucune impatience. Simplement, elle voulait savoir. Elle méritait de savoir.
Yann soutint un instant le regard de sa protégée, puis lui dit :
– Viens voir.
Il la précéda dans la maison forestière. Chaque fois qu’elle entrait dans ce refuge où elle et le garde forestier avaient vécu toute leur vie, Gwenn éprouvait un sentiment de paix. Elle était persuadée, depuis qu’elle était toute petite, que jamais rien de mauvais ne pourrait lui arriver tant qu’elle se tiendrait à l’abri de ces quatre murs de bois. C’était un sentiment qu’elle savait irrationnel, car le mal peut s’infiltrer partout, même dans les lieux les plus sereins et les mieux protégés, mais cela ne faisait rien, elle y croyait, ou feignait d’y croire, et y puisait une forme de foi.
L’intérieur du refuge était à l’image de celui qui l’habitait. On eût dit une sorte de cabane de contes de fées, telles qu’on les voit dans les illustrations des recueils de contes de Grimm ou, mieux, comme on les imagine. Tout, du parquet aux poutres du plafond, en passant par les lambris des murs, était en bois. En bois aussi, la table tout juste assez grande pour accueillir deux personnes, les tabourets formés par des troncs équarris, les rares meubles. Mais le plus surprenant était un arbre véritable qui avait poussé à l’un des angles de la maison et perçait la toiture pour continuer son ascension dans la frondaison de la forêt. Yann ne savait pas au juste si l’arbre, un bel hêtre blanc, avait poussé tout seul ou bien si l’abri forestier avait été construit autour de lui. En tout cas, au plus loin que remontait sa mémoire, il avait toujours été là. Il était, aux yeux de Yann, le premier occupant de la maison, et peut-être le seul légitime. Même à l’intérieur du refuge, on se serait cru en pleine forêt.
Cette impression était encore renforcée par la façon peu habituelle dont la maisonnette était décorée. Le garde forestier y accumulait les mille et une petites choses qu’il ramassait dans les bois, et qui lui semblaient dignes d’être conservées. Des tapis de mousse, des brassées de fougèresjonchaient le sol tandis qu’un entrelacs de lierre gris argenté courait le long des murs à la façon d’une guirlande. Des nids désertés de leurs locataires à plumes étaient disposés un peu partout, tandis que des nichoirs à oiseaux pendaient au plafond. Yann pensait toujours à y abandonner quelques graines. Parfois, au printemps et en été surtout, lorsque le garde laissait ouvertes porte et fenêtres, des merles et des bergeronnettes venaient se poser sur ces appuis, remerciaient en poussant quelques roucoulades ou tirelis puis s’envolaient vers d’autres escales. Un jour, le garde eut même la visite d’un écureuil qui s’appropria l’un de ces gîtes suspendus pour y entreposer ses noisettes. La maison entière résonnait de ses grignotements saccadés et s’embrasait de la petite tête rousse qui pointait son museau au-dehors et observait le refuge avec de grands yeux étonnés. La maison de Yann était à elle seule un reflet de la forêt tout entière, et chacun pouvait s’y trouver à son aise, arbres, bêtes et gens.
Gwenn effleura du doigt les étagères accrochées aux murs où reposaient, non des bibelots ou des livres, mais des morceaux de roche, des fleurs sèches, des feuilles mortes aux couleurs du coucher de soleil, des champignons. C’était là toute la bibliothèque de Yann. Il y lisait aussi clairement l’histoire de sa forêt qu’il l’aurait fait dans une épaisse encyclopédie. Les réseaux de lignes striant la paume des feuilles, les strates minérales des pierres ou des morceaux de schiste, la disposition des pétales sur une corolle de fleur, les lames sous les chapeaux des champignons lui étaient aussi intelligibles que des mots, des phrases, des paragraphes entiers.
Le garde forestier s’arrêta devant le gwele kloz , ou lit clos, que l’on retrouvait dans la plupart des intérieurs bretons. Tour à tour, lit, coffre, armoire et banc, ses panneauxcoulissants étaient agrémentés de rosaces et de clous de cuivres. Gwenn avait
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