Les Lavandières de Brocéliande
toujours admiré l’ingéniosité de cette trouvaille, permettant un gain d’espace appréciable dans les maisonnées exiguës.
Lorsqu’il était fermé, le gwele kloz ressemblait à un grand coffre dans lequel on serrait draps et couettes. Mais si l’on s’asseyait sur le bank-tosel , sorte de marchepied qui se trouvait devant, le gwele kloz servait de dossier. Lorsqu’on ouvrait enfin les panneaux de bois ajourés, on découvrait à l’intérieur du meuble un lit, avec son matelas et ses couvertures, où l’on s’enfermait la nuit pour dormir au calme, après avoir refermé sur soi les portières. On y était alors au chaud et à l’abri.
Lorsqu’elle était enfant, Gwenn avait passé bien des nuits dans ce lit clos, tandis que Yann se contentait d’une paillasse jetée en travers de la pièce. Plus tard, le forestier avait aménagé en chambre à coucher une remise qui jouxtait la maison, afin que la jeune fille puisse avoir son indépendance. Il avait alors repris possession du gwele kloz .
Yann racontait souvent que dans le vieux temps, lorsqu’il y avait encore des loups à Brocéliande, on enfermait les enfants dans les lits clos pour éviter que les fauves ne viennent les croquer durant la nuit. C’était aussi un moyen de les protéger des sangliers et des porcs sauvages qui entraient dans les habitations pour y chercher à manger. Le gwele kloz , mieux qu’un simple berceau, les préservait des dangers venus du sombre dehors et les empêchait de tomber durant leur sommeil. Enfin, ils tenaient à l’écart les cauchemars. Rien n’était plus rassurant que de s’endormir mussé dans ces terriers de bois. Car ce n’est pas l’obscurité de la nuit que les enfants redoutent le plus ; c’est l’immensité de l’espace noir dans lequel ils sont plongés, les recoins inaccessibles eteffrayants où spectres, croque-mitaines et autres monstres se tiennent, tapis dans l’ombre, prêts à se jeter sur leurs proies dès qu’elles auront fermé les yeux. Les portes intérieures du gwele kloz étaient comme une seconde peau, une armure contre les démons.
Ah ! Gwenn en avait passé des heures à rêver dans ce lit clos. Elle s’évadait dans des pays imaginaires peuplés de fées, de lutins et de korrigans. Des contrées idéales dont elle était la princesse et où l’attendaient ses parents, qu’elle imaginait semblables au roi et à la reine des fées ou à ces couples légendaires qui s’aimaient d’un amour si fort qu’ils ne pouvaient le vivre sur terre, mais en un ailleurs plus propice, exempt de toute douleur ou corruption, Avalon ou les îles enchantées où poussaient les fruits d’immortalité.
Gwenn ne croyait plus à ces chimères. Elle ne voulait plus se bercer d’illusions et ne supportait plus ce silence posé sur ses origines comme un doigt sur les lèvres. Elle voulait savoir, quitte à affronter une vérité moins glorieuse que ce que lui soufflait son cœur.
Yann ouvrit les panneaux du lit clos. Sans un mot, il ôta l’édredon de plumes qui recouvrait le lit, puis le matelas en dessous, enfin le châlit. Se trouvait là, entre le sol et l’emplacement du châlit, un coffre scellé dont Gwenn n’avait jamais soupçonné l’existence. Son père adoptif le lui désigna d’un geste.
– Tout est là, dit-il simplement. Lorsque le temps sera venu, ou lorsque je ne serai plus de ce monde, tu ouvriras ce coffre, Gwenn. Tu y trouveras tout ce qui concerne tes parents.
La jeune femme n’en revenait pas. Durant toute sa jeunesse, elle avait dormi sans le savoir sur un coffre qui abritait les réponses aux questions qu’elle s’était toujours posées.Qu’y avait-il à l’intérieur ? Des vêtements usés ? Des photographies anciennes ? Des documents relatifs à sa famille, à son nom ? Pourquoi les avoir dissimulés ici ? Pourquoi les avoir aussi bien cachés, durant toutes ces années ? Pourquoi avoir tu le secret de sa naissance ?
Gwenn contemplait le coffre avec un mélange d’angoisse et de désir. Elle mourait d’envie de savoir ce qu’il contenait et en même temps elle ne pouvait s’empêcher d’en redouter la nature.
Elle regarda Yann avec assurance.
– Je veux savoir. Maintenant.
Yann poussa un profond soupir et prit la jeune femme par les épaules.
– Je sais ce que tu ressens, Gwenn. Mais le temps n’est pas encore venu. Tu dois me faire confiance, attendre encore…
– Attendre ? Mais attendre quoi ? s’emporta la
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