Les Lavandières de Brocéliande
jeune lavandière. J’ai vingt-quatre ans, Yann ! Je ne suis plus une gamine ! J’ai le droit de savoir ! Je veux savoir !
Yann la regardait d’un air désolé.
– Je comprends ta frustration, ma Gwenn. Mais je n’ai pas le droit de briser le secret. Pas encore. J’ai juré.
– À qui ? À qui as-tu juré ?
La jeune femme criait presque. Elle était au bord des larmes. Des larmes d’émotion et de colère mêlées.
Le garde forestier la maintenait toujours fermement par les épaules mais sa détermination commençait à faiblir. D’une voix tremblante, il finit par articuler :
– Je l’ai juré à ta mère, lorsque tu es née. Elle t’a confiée à moi, en même temps que ce coffre, qui était tout son bien.
– Ma mère ? Tu as donc connu ma mère ? Et mon père ?Où était-il lorsque je suis née ? Pourquoi n’était-il pas auprès d’elle ?
Yann hésitait à répondre.
– Ton père, Gwenn…
– Dis-le ! hurla la jeune femme. Qu’est devenu mon père ? Il nous a abandonnés, ma mère et moi, c’est ça ?
– Ton père, reprit Yann en regardant Gwenn au fond des yeux, est mort avant ta naissance. Il n’a abandonné personne. Ton père était un héros, Gwenn. Et c’était mon meilleur ami.
– Et ma mère ?
– Elle est morte en te mettant au monde.
Gwenn resta sans voix. Elle fixait le garde forestier, médusée. Yann avait connu ses parents. Il avait été leur ami. Au point d’adopter leur enfant.
– Ils s’aimaient, Yann ? chuchota-t-elle.
Le garde avala sa salive, la gorge serrée. Pour la première fois de sa vie, Gwenn sentit qu’il retenait ses pleurs.
– Ils s’aimaient, Gwenn, je peux te le jurer. Ils s’aimaient d’un amour pur et infini. Mais il y a eu cette tragédie…
Il n’acheva pas sa phrase, brisé par l’émotion.
Gwenn n’en avait jamais entendu autant au sujet de ses parents. Ils s’étaient aimés. Ils étaient morts alors qu’elle venait à la vie. S’ils avaient vécu, elle aurait eu une famille, deux parents aimants. Comme les autres. Elle foudroya Yann du regard.
– Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Tu les connaissais, tu étais leur ami et tu ne m’as jamais parlé d’eux ! La vie m’a volé mes parents, mais toi tu m’as volé leur mémoire !
Elle se détourna et s’enfuit dans les bois en courant comme un animal blessé.
Yann ne fit rien pour la retenir.
– Pardon, ma petite fille. Pardon, ma Gwenn. J’avais juré…
Puis il revint au gwele kloz et ouvrit la malle qu’il avait tenue close depuis un quart de siècle. Il en sortit un képi, des médailles, des lettres anciennes rédigées à l’encre violette, réunies par une mèche de cheveux roux, et se mit à pleurer.
1 . S’assombrissait.
2 . Criaient.
7
Concoret, 1 er août 1914
L’ordre de mobilisation générale avait retenti comme un coup de tonnerre dans un ciel clair, le samedi 1 er août 1914 à quinze heures très exactement, en même temps que toutes les cloches de France et de Bretagne résonnant à toute volée. Maëlle, encore sous le choc de la désastreuse escapade à Barenton, vit dans cette brutale déclaration de guerre l’une des conséquences de leur transgression. La fée de Barenton poursuivait les cinq adolescents de sa colère. Ils avaient réveillé des forces maléfiques qui jamais plus ne les laisseraient en repos. Pour tenter d’éloigner d’elle le sort mauvais et d’oublier à jamais le dimanche fatal, elle rompit du jour au lendemain tout lien avec ses anciens amis.
Edern de Montfort fut le seul à être mobilisé. L’âge de la conscription avait été abaissé à vingt ans et la durée du service militaire portée à trois ans. Hubert fut exempté, du fait de son âge et de sa patte folle. Yann, lui aussi, était trop jeune pour connaître la gloire. Dès le 2 août, l’aîné des Gaël de Montfort reçut son ordre de mission et dut quitter Concoret, laissant derrière lui Solenn éplorée.
Edern portait un uniforme bleu azur et un pantalon garance, et il allait se battre avec le cœur empli de l’amour de Solenn auquel se mêlait celui de sa patrie menacée parles étrangers d’outre-Rhin que les troufions traitaient entre eux de « Boches ». Ils avaient la fleur au fusil et l’allure fière ; ils allaient devenir des héros. De toute façon, la guerre ne durerait pas plus de deux mois. L’armée française était considérée comme bien supérieure à l’armée allemande,
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