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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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ressentit de la jalousie à voir ainsi Philippe s’occuper davantage de son cheval que d’elle-même. Peut-être ne l’avait-il pas encore aperçue ? Pourtant, le croissant de lune se reflétait dans ce lavoir où elle était venue l’attendre.
    Elle se racla la gorge et trouva le courage de s’exprimer enfin.
    – Philippe ? Je suis là… C’est moi… Annaïg…
    Le jeune noble continuait à caresser son cheval. Après quelques secondes de silence, il finit par répondre :
    – Je le sais bien, que tu es là… Fidèle au poste, comme chaque mois, n’est-ce pas ? Tu es tellement prévisible, ma pauvre fille…
    Annaïg ne comprenait pas où Philippe voulait en venir avec ces paroles qui sonnaient comme des reproches. Et le ton qu’il employait était si froid… Que lui avait-elle fait ? Pour tenter de reprendre l’avantage, la jeune fille désigna son panier rempli d’écorces et d’herbes sauvages.
    – Je suis allée dans la forêt. La récolte a été bonne, ce soir.
    Philippe jeta un bref coup d’œil en direction du panier et esquissa un sourire amer.
    – C’est pour alimenter les potions que trafique ta sorcière de mère, n’est-ce pas ? Sais-tu qu’il y a à peine deux siècles elle aurait été brûlée en place publique ? Et toi aussi, pour l’avoir aidée…
    Il émit un ricanement désagréable. Annaïg ressentit un grand froid lui envahir le cœur. Philippe n’était pas dans son état normal, ce soir. Elle ne l’avait jamais connu aussi distant, aussi cynique. Lui, d’ordinaire si galant, si empressé, si amoureux. Que lui était-il arrivé ? Peut-être s’était-il une nouvelle fois disputé avec son père, le vieux baron boiteux ? À moins qu’il n’ait eu l’une de ces crises pour lesquelles Dahud le soignait avec ses remèdes de bonne femme ? Ces remèdes, elle les confectionnait justement avec ces plantes et ces racines que la jeune lavandière allait quérir dans la forêt ! Mais le jeune homme n’en éprouvait aucune gratitude.
    Si Philippe continuait à lui parler avec cette désinvolture et cette indifférence, Annaïg sentait qu’elle allait fondre en larmes. Elle ne ferait qu’agacer le jeune homme déjà si mal disposé à son égard. Soudain, elle fut saisie de panique. Et s’il partait sans l’avoir écoutée ? Pourrait-elle attendre un mois de plus avant de lui révéler son secret ? Et s’il ne revenait pas ? Oserait-elle se rendre au château ?
    Non, ce n’était pas possible. Elle devait se faire violence et lui parler. Tout de suite.
    – Philippe… J’ai… J’ai quelque chose à te dire.
    Le cavalier la regarda enfin.
    – Eh bien, vas-y ! Qu’y a-t-il de si important ? Dépêche-toi, car je n’ai guère le temps, ce soir. Je dois rentrer. Le médecin a dit que j’avais besoin de repos.
    Philippe s’exprimait d’une voix détimbrée, comme s’il était absent de la scène et même absent de lui-même.
    Annaïg sentait sa gorge se serrer davantage, et un nœud lui tordre le ventre. Ce ventre qui n’allait pas tarder à s’arrondir. Elle n’avait plus le droit d’hésiter.
    – Philippe… Je… J’attends un enfant !
    Le cavalier la considéra un instant comme si elle était, non pas la jeune fille qu’il avait prétendu aimer, et qui portait en elle le fruit de leur amour, mais une chose inanimée, une sorte de borne posée là, à côté du lavoir.
    – Réponds-moi, Philippe ! dit encore la jeune fille d’une voix étranglée. Dis quelque chose !
    Philippe la regarda encore un moment, avec la même expression détachée, à laquelle se mêlait une sorte de moue dégoûtée.
    Puis, sans prononcer un mot de plus, il sauta sur son cheval et s’enfuit au galop.

14
    Tout en cheminant vers le lavoir, Gwenn songeait à l’étrange visite que Dahud avait reçue ce soir. Le baron était asocial et ne quittait que rarement son château de Ker-Gaël, pour des randonnées solitaires qui n’avaient d’autre témoin que son gros chien noir. Quant à Dahud, elle était tenue à l’écart de la communauté du village. Outre son caractère ombrageux et ses médisances, on ne lui avait jamais pardonné sa maternité. On la craignait, mais on ne l’aimait pas.
    Et puis, elle était la lavandière attitrée de Ker-Gaël, celle qui lavait le linge des nobles. Même si elle demeurait une simple femme du peuple, on l’assimilait à ces hobereaux hautains qui n’avaient jamais abandonné les anciennes règles de la

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