Les Lavandières de Brocéliande
bout des doigts.
Il prit l’habitude de l’épier, de la suivre, de la guetter durant des heures sur le chemin du lavoir ou sur les sentiers de la forêt qu’elle empruntait. Il demeurait caché, prenait soin de ne pas se faire voir d’elle. Il savait qu’elle ne ferait que le rabrouer et il ne tenait pas à souffrir de son dédain. Non, il se contentait de l’observer patiemment, comme un chasseur surveille sa proie, en attendant le moment propice pour fondre sur elle.
L’occasion, enfin, s’était présentée. C’était par une belle journée d’été. Maëlle s’en était allée du côté du Miroir-aux-Fées, ce lac perdu dans la végétation sauvage du Val-sans-Retour, encadré de falaises pareilles à des forteresses inexpugnables. La jeune fille s’était dévêtue et, nue, s’était glissée dans l’onde verte telle l’une de ces nymphes qui, dit-on, hantaient les alentours.
Hubert, dissimulé derrière un bosquet, avait contemplé longuement la lavandière. C’était la première fois qu’il la voyait déshabillée et il en éprouvait un sentiment trouble dans lequel l’émoi se mêlait à la honte. Il lui en voulait de se dévoiler ainsi, de s’exhiber dans le plus simple appareil sans se soucier des regards étrangers. Bien entendu, elle se croyait seule et se baignait en toute innocence, mais cela ne faisait rien : au fond de lui, Hubert sentait qu’elle le narguait, qu’elle le provoquait. Elle méritait une leçon.
Il attendit qu’elle ressorte de l’eau et s’approche de ses vêtements qu’elle avait pris soin d’étendre sous un saule. Il surgit tout à coup devant elle et, avant qu’elle ait eu le temps de réagir, la fit basculer dans l’herbe. Tout se passa très vite. Même s’il était diminué physiquement, Hubert avait l’avantage de la surprise, et la volonté de démontrer enfin sapuissance. Maëlle, étrangement, ne fit rien pour se débattre ou repousser son agresseur. Au contraire, elle se prit au jeu, comme si elle n’avait jamais rien attendu d’autre que cette pariade sauvage au milieu de la forêt.
Ils prirent ainsi l’habitude de se retrouver en cachette près des étangs et des lacs si nombreux à Brocéliande. Ils n’échangeaient jamais une parole, se contentant de brèves étreintes haletantes d’où ils sortaient suffoqués.
Cela dura jusqu’à ce que le ventre de Maëlle commence à s’arrondir. Elle n’avait jamais imaginé qu’Hubert, qui avait déjà femme et enfant et une réputation à défendre, puisse reconnaître son bébé. Leur liaison avait toujours été tenue secrète. Elle ne devait pas s’ébruiter, même si elle avait eu des conséquences inattendues. Les mœurs ne l’eussent pas toléré, surtout en 1925. C’est ainsi qu’un pacte fut scellé entre Hubert et Maëlle. Celle-ci acceptait d’élever seule le fruit de leurs amours illégitimes, sans révéler à quiconque l’identité du père. En contrepartie, Hubert lui allouerait une pension mensuelle qu’il lui apporterait chaque mois en liquide. Depuis près de vingt ans, l’arrangement avait été respecté, même si le baron et la lavandière avaient cessé d’être amants.
Durant près de quinze ans, le baron honora sa parole, sans chercher pour autant à voir sa fille. Il n’avait jamais eu la fibre paternelle, et ne s’était guère occupé de Philippe, qui était pourtant son enfant légitime, vivant sous son toit. Il avait depuis le départ délégué à Françoise l’intégralité de l’autorité parentale, regardant grandir son fils avec une indifférence teintée d’ennui. Pourquoi aurait-il manifesté plus d’intérêt à une bâtarde ? Il payait chaque mois la somme convenue, c’était bien suffisant.
Pourtant, lorsque Annaïg fut à l’âge de l’adolescence, Hubert commença à penser à elle. Il ne l’avait jamais approchéeni tenue dans ses bras, ne lui avait jamais parlé, mais il éprouvait l’envie de voir à quoi elle ressemblait. Tenait-elle de sa mère, si attirante lorsqu’elle avait son âge ? Il se dit que, peut-être, il contemplerait dans la fille le reflet de la Maëlle qu’il avait connue lorsqu’ils étaient encore des enfants qui découvraient les tourments du désir.
Il prit en cachette des renseignements sur Annaïg. Elle était belle et piquante, disait-on. Un peu délurée aussi, comme sa mère à son âge. Cette enfant qu’il n’avait pas voulu reconnaître et qui avait grandi sans lui, loin de lui,
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