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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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qui ignorait même qu’il était son père, serait bientôt une femme. Elle plairait aux garçons. Elle en épouserait un. Elle fonderait une famille. Elle lui échapperait à jamais.
    Cette prise de conscience ne fit qu’alimenter l’obsession d’Hubert. Il lui fallait à tout prix voir sa fille, retrouver en elle le miroir vivant de son passé. Il s’en ouvrit à Maëlle, lors de l’une de ses visites. Mais il le fit maladroitement, en hésitant, les mains moites et le regard trouble. Son ancienne maîtresse l’avait longuement regardé, les yeux plissés, pour tenter de découvrir ce qui se cachait dans l’esprit et le cœur du baron. Puis, d’un ton sec, elle avait catégoriquement refusé. Jamais elle ne le laisserait approcher de sa fille.
    Hubert poussa un profond soupir. À travers la vitre de la calèche, il apercevait déjà les tours crénelées de Ker-Gaël. Il allait retrouver l’ennui qui suintait de ces vieilles murailles, subir la présence de la fade Françoise, croiser le regard plein de morgue de Philippe. Il se sentait si isolé au sein de cette famille. Sa famille. Elle lui ressemblait si peu.
    Heureusement, il y avait Rozenn. Elle avait pour elle la jeunesse, la beauté et cette innocence qui ne l’avait pas encore quittée. À défaut, pour l’instant, de fréquenter sa fille, il projetait ses sentiments sur la fiancée de son fils.
    Des sentiments étranges, qu’il n’aurait su définir avec précision. Il voulait y voir un simple intérêt paternel. Mais lorsqu’il croisait le regard de Rozenn, lorsqu’il la fixait de tout le feu de sa passion intacte, l’ombre d’inquiétude et de peur qu’il y lisait provoquait en lui d’incommensurables vertiges. Dans ces moments, et uniquement dans ces moments-là, il se sentait enfin vivant.

13
    Assise sur la margelle du lavoir, Annaïg avait posé à ses pieds le panier dans lequel se trouvait sa récolte de la soirée. Il s’agissait de plantes, herbes ou racines auxquelles la tradition attribuait des propriétés curatives, voire magiques, surtout lorsqu’elles étaient prélevées la veille de Samain.
    Elle avait choisi des essences d’arbres très particulières, qui entraient dans la composition de philtres et de baumes précieux. Ainsi, l’écorce astringente du hêtre, lisse comme un épiderme humain, d’une belle couleur gris argent que renforçait le duvet du lichen, permettait de guérir les maladies de peau et de soigner la fièvre. L’homophonie entre « hêtre » et « être » soulignait cette analogie entre l’arbre et l’homme. Du hêtre, elle ramassait aussi les fruits, les faines, sortes de petites châtaignes dont les porcs étaient friands. Convenablement broyées, elles formaient un beurre aux puissantes qualités vermifuges. Après avoir macéré dans l’eau afin d’éliminer leur tanin, les faines pouvaient également être moulues en farine dont on faisait un pain grossier mais qui tenait au ventre en ces temps de disette.
    L’écorce du charme était légèrement rugueuse et cannelée, comme une peau de vieillard. On l’utilisait en décoction pour effacer les rides et vaincre les zonas. Les feuilles du charme, au pourtour dentelé, aidaient à apaiser les maux de dents lorsqu’on les mâchait, tandis que celles du hêtre,appliquées sous forme de cataplasme, avaient la réputation d’éliminer les poils rebelles.
    Depuis longtemps, Annaïg avait retenu la fameuse phrase mnémotechnique qui permettait de faire aussitôt la différence entre les feuilles « à dents » du hêtre et les feuilles « à poils » du charme : « Le charme d’Adam, c’est d’être à poil. » Cette formule avait fait le bonheur de générations de gamins qui pouffaient de rire en la répétant lors de leurs promenades en forêt. Elle s’était en tout cas gravée à jamais dans leur mémoire et, leur vie durant, elle les aidait à distinguer à coup sûr les hêtres des charmes.
    Annaïg avait également cueilli des brassées d’aubépines et de ronciers. Dahud lui avait expliqué que c’était au creux de ces nids de piquants que résidaient de préférence les fées et les gardiennes des plantes. Elles se croyaient ainsi à l’abri des humains qui évitaient tout contact avec ces épineux inhospitaliers. S’en approcher signifiait certes prendre le risque de s’écorcher les doigts, mais il s’agissait du seul moyen d’emprisonner le souffle des belles dames dans ces gerbes hérissées de

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