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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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qu’une gamine qui croyait en ses illusions et préférait décharger sa rancœur sur autrui plutôt que d’accepter de regarder la réalité en face.
    – Je comprends ta colère, Annaïg, reprit Gwenn d’un ton radouci, comme une grande sœur parlant à sa cadette. Je comprends aussi la douleur que tu peux ressentir. Mais tu es encore jeune. La vie n’est pas un conte de fées, surtout par les temps qui courent. Sois patiente. Un jour, j’en suis convaincue, tu rencontreras le garçon qui saura t’aimer et te protéger pour la vie…
    Annaïg s’était arrêtée de pleurer, mais n’était pas calmée pour autant. Son visage était dur, figé dans une expression de haine pure. Sur son ventre, ses mains aux doigts entrecroisés se contractaient, comme les serres d’un rapace s’emparant de sa proie. Elle était pareille à un animal blessé, dont la souffrance insupportable se muait en folie. Gwenn eut peur, soudain, non pour elle, mais pour cette fille possédée par un rêve qui s’était brutalement transformé en cauchemar. Elle avait besoin de soutien, de compassion.Mais Gwenn était la dernière personne dont elle attendait un secours.
    – Rentre chez toi, Annaïg. Ta mère doit s’inquiéter. Et puis tu vas finir par attraper la mort à force de rester près de l’eau froide du lavoir.
    La jeune lavandière fit un pas vers Gwenn, les yeux fiévreux, l’haleine courte. Elle la dévisageait avec une expression d’indicible mépris. Puis, sans que rien n’ait annoncé son geste, elle cracha au visage de Gwenn et s’enfuit en courant, abandonnant derrière elle son panier rempli d’herbes magiques.

15
    Gwenn était tellement abasourdie par la réaction d’Annaïg qu’elle ne prit même pas la peine d’essuyer son visage. Fallait-il que la pauvre enfant fût désespérée pour perdre à ce point ses moyens…
    Malgré la violence avec laquelle la jeune fille venait de la traiter, Gwenn éprouvait pour elle de la pitié. Elle la plaignait d’autant plus sincèrement qu’elle-même avait réagi, quelques heures plus tôt, avec la même fureur irrationnelle. Elle s’était emportée contre Yann, qui avait toujours été bon avec elle. De ce point de vue-là, elle ne valait pas mieux qu’Annaïg, que son premier chagrin amoureux rendait injuste et agressive. Elle n’avait aucune légitimité à la juger.
    Elle comprit alors que, quelle que soit la cause réelle ou imaginaire de nos peines, on ne s’apitoie jamais que sur son propre sort. Les grandes douleurs sont toujours égoïstes.
    – Il était là…
    Gwenn tourna la tête et reconnut Loïc qui émergeait d’un coin d’ombre. Il regardait à terre, comme si sa bosse l’eût obligé à se courber en permanence vers le sol. Il paraissait gêné, embarrassé par quelque lourd secret.
    – Loïc ? Que fais-tu ici ?
    – Il était là, tout à l’heure, avec elle, continua-t-il, énigmatique. J’étais caché dans les fourrés. J’ai tout vu.
    Le pauvre garçon affichait une allure encore plus lamentable que d’ordinaire. Il jeta un regard apeuré en direction de Gwenn, puis baissa de nouveau la tête. Il avait besoin de parler, de se confier, mais il n’osait pas.
    – Qui, Loïc ? Qui était là tout à l’heure ? interrogea la jeune femme.
    – Lui. L’autre. Le cavalier de Ker-Gaël, répondit le bossu avec lenteur.
    – Philippe ? Philippe était ici ? Avec Annaïg ?
    Gwenn n’avait pu s’empêcher de réagir à cette étrange nouvelle. Il y avait un ton d’alarme dans sa voix.
    – Je ne l’ai pas fait exprès, s’excusa le charbonnier. Je suis arrivé ici le premier. Je…
    Il marqua une hésitation, puis reprit :
    – J’aime bien venir près du doué à la nuit tombée. Le jour, les lavandières battent leur linge et se moquent de moi… La nuit, c’est différent… J’imagine leur présence. Je les vois… Je les entends… Je peux même sentir leur parfum. La nuit, quand je viens ici, j’oublie ma bosse. J’imagine que les lavandières ne la voient plus. Je les aide à tordre leur linge. Et elles rient, elles rient… Mais elles ne rient pas de moi, alors je peux rire avec elle.
    Gwenn se garda bien d’interrompre le bossu. Il devait sentir qu’il n’avait rien à craindre d’elle. Qu’il pouvait se confier sans crainte.
    – Souvent, je m’allonge dans l’herbe et je regarde le ciel, continua-t-il d’une voix plus assurée. Ce soir, il y avait un mince croissant de lune qui montait

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