Les Lavandières de Brocéliande
n’était pas spécialement croyante, mais elle assistait chaque dimanche à l’office et se confessait régulièrement au père Jean, le vieux prêtre en charge des âmes des paroissiens. Elle se rendait seule à ces dévotions car sa mère se refusait à pénétrer dans le lieu saint. Pourtant, elle ne l’empêchait pas de pratiquer une religion dont elle se tenait elle-même à distance.
Comme toutes les jeunes filles de son âge, Annaïg n’avait jamais vraiment pris au sérieux les dogmes et les commandements de l’Église catholique. Elle aimait rire, s’amuser et prendre du bon temps, et ne voyait là ni péché ni malice du diable. Quand elle se confessait, elle évitait soigneusement de révéler au prêtre les passions de son cœur, de crainte qu’il ne les jugeât et ne lui interdît de les vivre. Elle se contentait de s’accuser de péchés sans conséquences : pour plaisanter, elle avait jeté la coiffe d’une lavandière dans le lavoir ; elle avait négligé, par fatigue ou paresse, ses prières du soir ; elle avait pris plaisir à entendre et à répéter les ragots que débitaient les commères.
Le père Jean faisait semblant de se satisfaire de ces fautes vénielles. D’un naturel pudique, il ne forçait jamais ses ouailles à s’étendre sur les sujets scabreux relatifs aux faiblesses de la chair. Il avait fait vœu de chasteté quarante ans plus tôt, et l’avait respecté sans avoir à lutter contre ces tourments et ces tentations qui assaillent parfois les hommes de Dieu. Les choses du sexe demeuraient pour lui un mystère inexplicable qu’il préférait ignorer. Ces confessions tronquées le rassuraient, et il renvoyait les pécheresses avec, comme pénitence, trois Pater et deux Ave.
Annaïg n’attendait aucun secours de la religion, mais la situation périlleuse dans laquelle elle se trouvait ne lui laissait guère le choix. Le vieux recteur de la paroisse était ce soir la seule personne au village à qui elle pouvait dire la vérité sans s’attirer des jugements ou des sarcasmes. Il l’écouterait et saurait l’apaiser, la conseiller, lui indiquer quelle était la meilleure attitude à adopter. Et surtout, ce qu’elle lui confierait ne s’ébruiterait pas. Elle savait que le prêtre était tenu de respecter le secret de la confession.
Elle s’approcha de la porte du presbytère et frappa trois coups légers. Personne ne répondit mais le rai de lumière qui soulignait le seuil encouragea Annaïg à insister. Le père Jean ne devait pas encore dormir ; il était juste un peu dur d’oreille. Elle cogna plus fort contre l’huis. Elle perçut alors un glissement de pas à l’intérieur, puis un bruit de loquet. Le recteur apparut dans l’encadrement de la porte, vêtu de sa soutane, un bonnet sur la tête, le nez chaussé de lunettes aux verres épais. Il mit quelques secondes à accommoder sa vue et reconnaître la personne qui venait lui rendre une visite aussi tardive. Son visage finit par s’éclairer d’un large sourire.
– Annaïg ! C’est toi ?
La jeune fille ne répondit pas. Elle demeurait immobile devant lui, les yeux rivés vers le sol, les mains jointes sur son ventre. Le prêtre comprit qu’elle avait pleuré. Il ouvrit tout grand la porte et l’invita à entrer.
La pièce où ils se trouvaient était simple et sommairement meublée. Une table, quelques chaises, une armoire, un lit clos, un prie-Dieu et un long crucifix accroché au mur, enrubanné de branches sèches de laurier béni lors de la fête des Rameaux, qui avaient, paraît-il, le pouvoir d’écarter la foudre. Pas de cheminée, mais un poêle à charbon qui diffusait une douce chaleur. Une ambiance austère et pieuse, favorable à la prière et à la méditation.
– Assieds-toi près du poêle, Annaïg, tu trembles de froid… Tu veux quelque chose de chaud ? Je n’ai pas de café, hélas, mais j’étais en train de boire une tisane. Attends, je te prépare un bol…
Pendant que le curé s’affairait, Annaïg s’assit sur le siège qu’il lui avait désigné. Elle frotta ses mains engourdies. C’est vrai qu’il faisait froid, dehors. Mais ce n’est pas à cause de cela qu’elle tremblait.
Le père Jean lui apporta un bol fumant qu’elle serra entre ses doigts gourds. Elle huma le parfum de verveine qui s’échappait de la boisson brûlante. Elle était rassurée par l’accueil chaleureux du recteur. Il ne lui avait posé aucune question, ne s’était pas
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