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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sur le seuil de la stalle du Blanchet. Il se redressa encore et saisit un fouet accroché à l’une des poutres de soutènement.
    Aussitôt, la longue lanière ondula ; les chevaux, à ce sifflement détesté, renâclèrent. Atteint à la joue, Ogier sentit sa tête éclater, brasiller, mais ne cria ni ne gémit. Il recula vers l’enclos de son destrier. Là, il y avait une fourche ; avec elle, il se défendrait.
    La mèche claqua de nouveau ; le damoiseau esquivant le coup, elle cingla l’arrière-main de Marchegai. Le cheval piétina sa litière et fit tomber l’outil.
    — Foi de Saint-Rémy, le sort t’est contraire, Argouges.
    Reculant encore, Ogier dépassa la parclose de son cheval.
    « Saligot ! Dire qu’il me domine et que je ne peux rien ! »
    Didier essuya de l’avant-bras sa bouche ensanglantée, prenant ainsi son temps pour une nouvelle volée :
    — Je t’en fais serment devant cette fille, Argouges (il cracha une dent), la peau te cuira jusqu’à ce que tu hurles… Et si tu ne veux pas qu’il souffre, Tancrède, rends-moi ma lame…
    D’un œil paisible, Marchegai avait suivi la scène. Il hennit et rua soudain. Ses sabots ferrés de neuf atteignirent le présomptueux à la hanche. Il y eut un craquement. Projeté sur le seuil du logis de Broiefort, de l’autre côté de la travée, Didier s’écroula, hoqueta et ne bougea plus.
    Tancrède se pencha et scruta le visage de l’écuyer. Les yeux vitreux ne la voyaient pas ; la bouche pleine de bave et de sang était ouverte pour un cri que nul n’entendrait.
    — Mort, murmura Ogier incliné sur le corps immobile.
    De son pied, Tancrède poussa le cadavre dans la rigole à purin.
    — Tu as vu ce qu’il m’a fait !
    Elle lâcha la dague et cracha sur la tête du défunt :
    — Que Satan te châtre et te fasse rôtir sur ses braises.
    Immobile, irrésolu, le damoiseau regarda le visage exsangue de sa cousine, ses cheveux souillés de fétus, de poussière, et son ventre sur lequel pendaient les lambeaux de sa robe. Il l’attira contre lui. Elle pleura sur son épaule.
    — Laisse-le en paix. Il était perfide et couillard… Quant à Blanquefort, ne lui dis pas que je sais… S’il a faibli, c’est qu’il nous aime bien.
    Il caressa la joue de la jouvencelle. Il ne savait qu’ajouter. Cette mésaventure le confondait.
    — Marchegai l’a puni. S’il ne l’avait fait, j’aurais quand même occis ce malandrin… Je ne craignais ni ses cinglons ni ses menaces.
    Ses lèvres glissèrent sur le front de Tancrède. Il comprenait son chagrin et sa fureur. Les mots lui semblaient faibles pour la consoler. Sa main le brûlait atrocement.
    — Mais tu saignes ! s’écria-t-elle. Fais voir.
    Elle examina la blessure, tout en soufflant dessus pour en atténuer les feux.
    — La lame n’a pas traversé, mais il s’en est fallu de peu, dit Ogier après avoir scruté la plaie jusqu’à en être écœuré. Ce damné pourceau aurait pu m’eshancher [215] .
    — Et ta joue… As-tu mal ?
    — Non.
    Il mentait. Il avait l’impression d’être marqué au fer.
    — Je vais chercher quelques bonnes toiles d’araigne pour arrêter le sang…
    — Non ! N’en fais rien… Reste…
    Ils étaient en sueur, et si proches que leurs odeurs se mêlaient. D’un doigt léger, le garçon effaça les larmes de Tancrède sur ses longs cils collés, sur ses joues. Il lui sembla qu’un silence interminable s’était produit entre ses dernières paroles et celles qu’il prononçait enfin pour conjurer le trouble où il s’enlisait.
    — Pars sans être vue… Passe par la petite porte, entre le fournil et les granges… Cours jusqu’au logis de Margot. Il n’y a sûrement personne : elle est au hameau avec Anne, et les hommes sont à la forge… Tu trouveras là-bas de quoi te vêtir.
    Elle frissonnait, prête à sangloter ; il lui tapota l’épaule et sa main remonta le long de son cou.
    — Nous ne pouvons sortir ensemble dans l’état où nous sommes… Laisse-moi retirer cette paille plantée dans tes cheveux… As-tu mal ? Oui… Je sens une bosse.
    Il lui souleva le menton afin que leurs regards pussent se pénétrer, mais elle ferma les paupières.
    — Oublie tout !… Ce démon avait bien pourpensé son coup… Il avait renvoyé les palefreniers… Il savait que tu viendrais… Sa mort me satisfait. Foi d’Ogier !
    Maintenant qu’il regardait cette chair blonde, magnifiée par les déchirures de la

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