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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’étonnait qu’aucun palefrenier – pas même Eudes, le fils puîné de Mathilde – ne fut présent. Y avait-il tant à faire au-dehors ?
    Il s’arrêta encore et tendit l’oreille, glacé tout à coup par une prémonition si singulière et si forte qu’il porta une main à sa ceinture pour constater que, dans sa hâte de voir le contenu du chariot, il avait laissé sa dague sur la maître-table. Allons, se rassura-t-il en avançant de nouveau, quelle que fût la véhémence du danger pressenti, celui-ci était extérieur à la forteresse. Ici, parmi les chevaux, il n’y avait rien à craindre.
    De l’autre côté du mur de torchis, c’était la forge. Gilles, Thierry Champartel et leur compère, Laurent Massoutier, qui avaient dû s’interrompre un instant, se remettaient à l’ouvrage et tançaient Gauthier, le fils de Gilles et de Margot. Le lent chuintement du soufflet commença et le fer tinta sur l’enclume, harcelé en cadence par un marteau.
    « Ces quatre-là, quelle tête ils feront si les armuriers viennent partager leur domaine !… Je vais devoir leur conseiller de se montrer bienveillants. »
    Et subitement :
    « Ma cousine est entrée céans. En est-elle partie sans que je la voie ?… Tout de même, elle ne sera pas sortie par la petite porte de derrière… »
    Saisissant une fourche abandonnée à l’entrée de la sellerie, le garçon se glissa dans la parclose de Marchegai et poussa, du manche, le volet rabattu au-dessus du râtelier.
    — Eh bien, qu’en dis-tu, l’ami ?
    En réapparaissant, la lumière couvrit d’or la litière de l’étalon et lustra les planches de sa mangeoire. Un brouillard de poussière s’éleva, pailleté par les ailes d’un tourbillon de mouches bruissantes. Marchegai pencha vers le damoiseau sa tête brune où les yeux brillaient comme deux boules d’onyx. Ogier lui tapota la joue :
    — Bonjour, Monseigneur… T’ont-ils bien ferré, ces goguelus d’à-côté ?
    Sa dextre glissa dans la coulée de soleil qui, telle une housse de soie, couvrait la croupe de l’étalon. Il caressa son flanc, son encolure, prenant plaisir à deviner sous cette chair de ténèbre et de sang les muscles souples, infatigables, dont un effleurement changeait l’immobilité vibrante en un flux de palpitations. Ce faisant, il constata que son destrier l’observait avec moins d’intérêt qu’à l’accoutumée. Il était nerveux, distrait ; ses naseaux frémissaient ; il eut même un hennissement bref et grave, hocha la tête et gratta sa litière.
    — As-tu soif ?… Ton chaudron est vide. J’irai te l’emplir… Mais avant, fais-moi place… Et ne me regarde pas si effrontément !
    Ogier souleva une à une les jambes dociles, examina les fers, les clous et fut satisfait : « Belle besogne ; Thierry plutôt que Gilles. » Il caressa le tiède et dur chanfrein, les lèvres veloutées, flatta la crinière opulente et s’étonna que son cheval eût les oreilles chauvies, attentives, et qu’il se mît encore à saboter le sol.
    — Tu vois clair maintenant. Je viendrai te seller après vêpres.
    Loin de s’apaiser, l’étalon racla sa paille de ses antérieurs. Dans l’écurie voisine, Roxelane hennit d’une manière si tragique en sa brièveté qu’elle semblait subir tout à coup, par un inexplicable sortilège, l’émoi qui rendait Marchegai fébrile. Alors, Ogier crut comprendre :
    — Tu veux couvrir cette luronne et elle ne demande pas mieux… Bon, attends, je vais te chercher à boire.
    Il recula, le chaudron dans une main, la fourche dans l’autre. Il appuya l’outil contre une poutre, à l’entrée du gîte, et s’enfonça dans l’écurie. Au passage, il claqua la cuisse du noiraud que Blanquefort avait acheté à l’entrée d’Ailly, sur le chemin de Rouen, cinq ans plus tôt. Il vivait toujours, ainsi que la jument.
    — Pour toi, mon vieux, le temps des amours est passé !
    Il entendit un froissement léger. Peut-être un rat. Peut-être autre chose. Il s’immobilisa et leva les yeux vers le sommet de l’escalier accédant au galetas.
    — Est-ce toi, Tancrède ?
    Le silence devint encore plus oppressant que l’odeur vivante des bêtes et du fourrage.
    Prudemment, le damoiseau avança.
    Il y avait derrière l’abreuvoir, au fond du bâtiment, un compartiment inoccupé : celui du défunt Baucent. Chaque matin, on y mettait la paille destinée au renouvellement des litières. Avant d’y plonger son

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