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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sa figure, donnant plus d’importance à son front droit, à sa bouche petite et vermeille. Une torsade d’anneaux d’or soulignait son cou fragile sur lequel palpitait une veine. Et la gracilité de ses épaules, sous son bliaut de cariset vert amande, était aussi évidente que la beauté cachée d’une poitrine sur laquelle revenait assez souvent l’attention du Castillan.
    — Allons, prenons des forces ! dit Guillaume.
    L’on se mit à manger, le baron et son chapelain avec une vivacité d’affamés, les autres avec une componction peut-être involontaire.
    —  Il a juré de se venger, dit soudain Blanquefort, en rompant un bout de pain. Mais il n’a pas dit sur qui… Je ne vois d’ailleurs pas comment il pourrait y parvenir.
    — Est-ce vrai, mon oncle ?
    Un grognement : Guillaume ne démentait pas son sénéchal. Puis il sourit – sans envie – et crut bon d’ajouter :
    — Il y a loin de la parole aux actes, mon neveu.
    Dans les yeux du vieillard qu’il sondait à nouveau, Ogier ne découvrit nulle trace d’inquiétude, mais plutôt de l’ennui et de la fatigue.
    — Ogier, dit Blanquefort, veillez sur Marchegai dès le retour de Renaud et d’Haguenier.
    — Sang-Dieu, si ces deux-là touchent à ton cheval, je les fais bastonner jusqu’à ce qu’ils en crèvent !
    — Je n’ai jamais eu, jusqu’ici, la moindre querelle avec eux, et je ne vois pas pourquoi cela commencerait… Mais qu’ils prennent garde !
    Ogier promena sur les convives un regard impassible. Il dominait, cependant, une colère glacée. Il avait prévu qu’il s’aliénerait les deux gars. Riant, et de bon cœur cette fois, Guillaume déclara :
    — Si tu dois les affronter, attends que nos Castillans t’aient couvert de fer de pied en cap.
    — Nous nous hâterons pour cette armure, messire Ogier, dit Pedro del Valle. Votre fer poitevin est bon… Demain, au réveil, nous prendrons vos mesures.
    L’armurier se servit à boire. Il avait des doigts longs, robustes, aux ongles ras, et les flammes auxquelles il était tant accoutumé semblaient, ce soir, ajouter une grâce un peu maléficieuse à leur vie. Ces mains fascinaient Claresme : elle les observait en déglutissant parfois, comme si quelque émoi lui serrait la gorge. Les imaginait-elle glissant ici et là sur son corps, et s’y attardant ?
    Ogier remercia les Tolédans :
    — Je sais que ce harnois sera beau et solide. Chaque fois que je le porterai, ce sera pour vous faire honneur.
    Et tandis que Tancrède souriait pour la première fois de la soirée, avec une sorte d’indulgence dont il fut irrité, Ogier se demanda s’il éprouvait encore envers elle la même attirance que dans l’après-midi. Elle avait recouvré son ambiguïté, son mystère, et si elle s’était blottie dans ses bras, elle paraissait avoir oublié ce moment d’abandon qu’il conservait intact en sa mémoire. Singulière capacité de domination de la volonté sur les sens, qui l’avait transférée d’une défaite qu’il se plut à évoquer, quelles qu’en eussent été les causes, à cette sévérité déconcertante.
    — Tu souris, cousine… Avoue donc qu’elles t’ont fait de l’effet, ces armures !
    Elle approuva sans mot dire. Elle était, elle aussi, bien pourvue en seins. Son surcot de velours sinople dégageait un cou long et mince et des poignets presque fragiles. Comme il la connaissait mal ! Esprit et corps. L’esprit, jamais il ne parviendrait à l’atteindre. Le corps ? Là, s’il y songeait trop, il s’engagerait sur une pente abrupte, sans rien trouver où s’accrocher. Pas même Dieu.
    Cherchant à comprendre l’étonnant revirement de la jouvencelle – car son refus de favoriser une évasion insensée n’expliquait pas seul sa soudaine et curieuse réserve – le garçon décida qu’elle regrettait qu’il l’eût vue non pas nue, mais en quelque sorte vaincue. De plus, elle s’était ressaisie afin de pouvoir mieux tromper son père : sereine, rigide, comment eût-il pu soupçonner ses désirs, sa détermination, ses ambitions, ce fiévreux tourbillon d’effervescences, la plupart sans doute inavouables, dont les remous ne laissaient en repos ni son cerveau ni ses sens ?
    — Qu’il s’agisse de quelqu’un ou de quelque chose, tu n’as nulle raison d’avoir le visage chagrin.
    — Qu’en sais-tu, cousine ?
    — Il y a des pensées, des souvenirs, des envies qui vous collent à l’esprit, comme à la peau

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