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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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pour piller. Une senteur de murs imbibés d’eau et de suie, de chaume pourrissant, et pour tout dire de misère, flottait là, et le vent, soufflant par saccades molles, était comme l’haleine de cette pauvreté désertée. Silence. Il ajoutait son poids d’incertitude à cette vacuité, à cette inertie des choses sacrifiées aux fureurs humaines.
    Ogier se mit à marcher lentement pour ne point glisser sur le sol mou parsemé de flaques profondes. La vue de la maison de l’Henriette ne lui procura aucun plaisir. Elle était petite, laide avec ses murs de guingois et sa toiture affaissée sous le poids des ans et des plantes culmigènes. Les gouttes titillaient la pierre creuse de son seuil.
    Il s’arrêta et toqua à la porte. « Elle est close, donc ils sont là !… Bon sang, c’est une méchanceté de souhaiter ça… mais pourvu qu’elle soit morte ! » Il entendit un juron et des glissements de sabots.
    Le vantail s’entrebâilla ; il le poussa, provoquant un cri étouffé.
    — Oh ! c’est vous, dit-il contrarié.
    Il avait cru retrouver enfin Anne, or, Margot s’effaçait pour le laisser entrer.
    — Je venais vous dire de monter sans tarder. Les Anglais sont sur nos terres.
    Il aperçut Gilles dans l’ombre, mais point Anne. Pourquoi ne se montrait-elle pas ? Et l’Henriette ? Était-elle décédée ? La maison puait la mort.
    — Nous savions qu’ils approchaient, messire, déclara Gilles tout en enfonçant des linges dans un sac. Le Thibaut nous a prévenus et nous nous préparions à partir. Vous voyez : Margot venait de moucher les chandelles… L’Henriette a enfin rendu l’âme et nous l’avons ensépulturée.
    — Comment se fait-il que Thibaut…
    — Il bûcheronnait du côté de Paleyrac, coupa Gilles. Il les a vus venir de loin.
    Des êtres en lesquels Anne avait passé son enfance, Ogier ne distinguait rien – ou si peu : le linteau d’une cheminée au milieu duquel luisait le cuivre d’un bougeoir, et la grisaille d’un lit défait. Il exprima sa fureur contre le bûcheron :
    — Ce huron aurait dû venir nous alarmer !
    Et Anne ? Préparait-elle quelque ballot de linge dans la pièce à côté ? Non, car il l’eût entendue.
    — Où est Anne ?
    Margot prit le bougeoir et le fourra dans une besace qu’elle jeta sur son épaule. Elle regarda son mari, et bien qu’il fît sombre, le damoiseau remarqua l’expression de gêne du forgeron.
    — Ben voilà, dit-il, elle n’a pas voulu revenir là-haut.
    —  Pas voulu !… Que me dis-tu là ?
    — La vérité, messire, dit Margot, simplement. Elle a peur…
    —  Peur !… Peur de qui ? De quoi ? De ces cagous dont nous ignorons les intentions et le nombre… ou de moi ?
    Champartel s’avança, traînant son sac.
    — Griveau lui a dit que nos murailles tomberaient avant sept jours et que si elle voulait…
    — Si elle voulait quoi  ? Bon sang, continue, Gilles !
    — Je ne le puis, messire.
    Le damoiseau se tourna vers Margot :
    — Elle a cru aux sornes de Griveau !… Elle a toujours fait fi de ses prédictions et de ses pouvoirs… Où est-elle ?
    D’un coup d’œil, Gilles consulta sa femme. Il était soucieux, peut-être angoissé. Négligeant son mari, Margot sourit, mais c’était un sourire insincère et chagrin. Elle renifla et dit, essuyant une larme :
    — On n’a rien pu faire, messire. Rien. Elle avait dû d’ailleurs se décider bien avant ce jour d’hui…
    — Où est-elle ?
    — Partie avec Thibaut et la Pitioune.
    — Hein ?
    — Dans la grotte où Thibaut les emmène, il y a lits, nourriture, et même une source. Depuis que les Goddons sont sortis de Guyenne, il avait prévu qu’ils nous envahiraient.
    — Connais-tu cette grotte, Gilles ?
    Le forgeron lâcha son sac.
    — Vous pensez bien que j’ai cherché à savoir… Rien à faire.
    Ogier s’approcha de Margot.
    — Tu ne vas pas me dire que ce palefrenier de malheur a effrayé Anne à ce point ? Je connais ta sœur aussi bien que toi… Mieux, même. Je venais l’exhorter, conforter son courage, et la voilà partie avec ce rustique !
    Thibaut, quarante ans au moins ; des cheveux crépus et un collier de barbe brune ; des yeux larges, relevés vers les tempes ; un nez petit un peu écrasé, une bouche épaisse et des dents saines encore. Si Anne descendait rarement au village, c’était pour échapper à sa sollicitude étroite, à ses louanges, à sa convoitise. Et voilà

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