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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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galeron, l’écrasa dans son poing afin de l’essorer pour éponger son visage.
    Sa senestre lui faisait mal. Les lèvres de la plaie le brûlaient davantage que le cœur de celle-ci. Du poivre entrait-il dans la composition de l’onguent de Mathilde ? Il tâta les bandes de tissu cousues par la grosse femme ; elles tenaient bon. Alors, il s’enfonça sous les feuillages sombres.
    La froidure prisonnière entre les piliers serrés, gluants d’eau et de sève, le saisit des épaules aux orteils. L’ombre s’épaissit. Décantée par la feuillée, la pluie perdit de sa violence et les revolins du vent s’atténuèrent. Une musique discrète remplaça les sifflements des bourrasques et les crépitements de l’averse.
    « Pourvu que je ne m’égare pas ! »
    De hautes fougères, des tiges indéfinissables, des membres grêles d’arbrisseaux, parfois lisses et accolés, parfois noués, vissés les uns aux autres, et griffus, contrariaient sa progression. L’air était moite, pesant, pareil à celui d’une crypte. Des vapeurs flottaient, puis se dissolvaient comme une halenée en hiver, et renaissaient de loin en loin, d’un soupir de la terre ou des plantes. Capricieuses, les ténèbres changeaient : noires ou grises, et d’épaisseurs différentes, mais Ogier connaissait le sol lépreux qu’il foulait maintenant. Ce tapis de feuilles de chêne, refuge des belettes et des lièvres, se trouait en saison sous la poussée des cèpes gras et ambrés, de morilles aussi grosses que des cervelles de mouton, et de loufes [228] d’un blanc velouté, sans pied mais à tête épaisse comme un turban sarrasin.
    Une chevêche prit brusquement son vol. Elle hulula en se haussant mollement vers le ciel que les étoiles enfin damasquinaient par-delà les charpentes brunes et tourmentées.
    « Sang-Dieu ! Pourvu qu’elle n’alerte pas ces gueux. »
    Tout à coup, à travers la résille glauque des fougères et des rameaux, et les lambeaux de vapeurs ondoyantes, le damoiseau vit le clignotement d’un feu. Se courbant, il avança jusqu’à un colosse derrière lequel il s’accroupit lorsque des voix trouèrent le silence.
    — Par les cornes de Belzébuth, jura un homme, Robin nous avait pourtant dit qu’il serait de retour avant la nuit.
    Ogier tressaillit : ainsi, c’était bien lui : Robin Canole.
    — Ne t’inquiète pas : il ne s’est jamais fait pincer. Mais tu le connais : il veut tout voir avant d’engager les assauts.
    « Des Gascons, songea Ogier. Ils parlent en langue d’oïl. Je pourrais demeurer, savoir ce qu’ils préparent… Mais je dois prévenir Saint-Rémy. J’ai déjà trop perdu de temps au hameau… Ce vieux vilotier, je m’en moquerais carrément s’il n’y avait des femmes et des enfants derrière ses murailles. »
    Il s’éloigna, s’arrêta, tendit l’oreille ; on ne le suivait pas. Il continua d’avancer sur le sol mou que le roc affleurait parfois, luisant et glissant.
    « Est-ce pour eux vraiment que j’accomplis cela ou pour me montrer à Tancrède ? »
    Il n’osa se répondre : il se fût déprécié. Les arbres se multiplièrent, avant-garde d’une armée dans laquelle il s’insinua. Chênes, pins, fayards et tant d’autres, ils étaient là, monstrueux, groupant leurs troncs gras et rugueux comme de vieilles cottes de mailles ; les uns, les membres écartés à hauteur de visage, les autres élevant convulsivement des bras innombrables et suppliants. Ici, l’air sentait le moisi. Pire, même : le tombeau.
    « L’Isle doit être bien grosse… Je serai mouillé jusqu’à la boudine ! »
    Il atteignit bientôt la rivière turbulente, noire, argentée sous les feuillages chargés d’eau et de nuit. Il connaissait un gué, il le trouva sans peine, heureux que la lune enfin resplendissante l’eût aidé dans ses recherches.
    Comme prévu, l’eau bruyante et glacée monta plus haut que ses cuisses. À deux reprises, il trébucha sur des pierres et sa main blessée, plongée dans le courant, lui fit mal. Il fut content d’atteindre l’autre rive.
    Il courut longtemps, sitôt en terrain nu, sa lame à la main, en cas de mauvaise rencontre. Le souffle court, il atteignit l’épaule de granit qui, telle une porte demi-close, obstruait le chemin escarpé menant à Saint-Rémy. Il la franchit, s’arrêta, écouta de nouveau. – Bon, je m’en suis bien tiré. Il s’ébroua, et tout en remettant son arme au fourreau, il marcha vers les

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