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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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vie !
    La puissance mauvaise des lieux – pierres et ramures emmêlées dans une étreinte étouffante – suffoquait le damoiseau. Il avait vu trois ou quatre fois ce château en plein jour ; cette nuit de pluie glacée, frénétique, aggravait plutôt que de l’atténuer la hideur de ces sombres murailles aux boursouflures desquelles, çà et là, l’eau diluant le mortier centenaire, luisaient de larges coulées de morve.
    « La bastille la plus sévère peut inspirer des envies de repos, de sécurité ; paraître même accueillante… Ici tout est malveillant. »
    Le pont-levis s’abattit sans qu’il eût entendu un ordre, et l’unique porte voûtée d’ogives ouvrit sa gueule brune sur une cour fangeuse, miroitante, au milieu de laquelle un tas de fumier dégageait des fumerolles. Dans leur étable, les chiens aboyaient encore.
    Ogier fut incapable de bouger. Pire qu’un garrot, l’angoisse meurtrissait sa gorge et son cœur battait fort. Ses genoux s’entrechoquaient. Sa main le tourmentait à travers ses bandages détrempés.
    « Je n’irai pas plus loin que le milieu du pont ! »
    À peine engagé sur le tablier dont certaines planches, vermoulues, ployaient sous ses semelles, les odeurs d’étable et d’immondices contenues tant bien que mal, l’instant d’avant, par le rempart de bois, fluèrent sous le cintre béant et l’assaillirent, si fortes qu’il en toussa. Comment pouvait-on vivre ainsi ? Ce château de solitude et de désolation était plus terrifiant, dans son abandon, plus repoussant, dans sa laideur croupissante, que ce qu’il en avait imaginé. Entre les clatissements des chiens, des murmures confus montaient, et des lueurs clignotaient derrière les vessies tendues de trois ou quatre fenêtres.
    « On dirait que je les ai réveillés d’un long sommeil… Ils n’ont même pas de guetteurs ! »
    Il s’arrêta, méfiant, à deux pas de l’entrée.
    — Approche donc !… Que viens-tu faire ?
    Ils venaient d’apparaître et il fut tenté de reculer ; mais c’eût été passer pour un couard.
    — Approchez vous-même, Saint-Rémy. Je n’en ai d’ailleurs pas pour longtemps…
    — Hâte-toi de parler. On allait se mettre à table.
    Entre Renaud et Haguenier, chacun portant une torche, il était là, grand, maigre et dodinant de la tête. Tout proches, coiffés d’une cervelière à nasal et vêtus d’un gambison dont les mailles rouillées, luisantes de pluie, semblaient des écailles de tanche ou de brochet, deux barbus attendaient un commandement. L’un tenait un morgenstern, cette massue à la tête hérissée de clous, l’autre une sorte d’épieu dont le fer tridenté semblait avoir une escarboucle à sa plus haute pointe.
    — Qui es-tu ? demanda Saint-Rémy.
    — Vous savez déjà la réponse. Donc, pas de cérémonie entre nous : il fait obscur, mais nous nous connaissons bien.
    — Qu’es-tu venu me dire ?
    — Que les Goddons sont partout.
    — Ogier d’Argouges, murmura Saint-Rémy, poursuivant son idée. Son préféré… Didier m’a dit comment son oncle te favorisait à son détriment. Augignac et Trélissac me l’ont confirmé ce soir encore. Mais laissons cela. Tu prétends que les Anglais sont sur nos terres ? Guillaume les flaire partout, à croire qu’il en a peur… Certes, ils assiègent Bergerac. C’est loin ! Au Puy-Saint-Front, où je suis allé ce jour d’hui chercher de quoi m’offrir une riole [231] je n’en ai pas vu la queue d’un.
    Ignorant ces commentaires, Ogier avança en direction des écuyers, puis s’arrêta, prudent :
    — Allez chercher vos armes. Préparez-vous à rentrer à pied.
    Ils restèrent immobiles. Pour se décider, Haguenier attendait la réaction de Renaud ; elle fut violente et divertit Saint-Rémy :
    — Pour qui te prends-tu, Argouges ? Le baron nous a accordé jusqu’à demain matin… Il nous faut mettre Didier en terre.
    — Guillaume a changé d’avis, Augignac, et vous devez me suivre.
    — Te suivre ?… Rien ne prouve que tu dis vrai !… Tu me parais bien osé !
    Le damoiseau se tourna vers Haguenier :
    — Apprête-toi, Trélissac.
    — Il reste ! aboya Renaud.
    Agacé par cette résistance inepte, Ogier fit un pas pour saisir Augignac au collet. Il fut de trop : à peine s’était-il engagé sous la voûte que quelque chose chut dans son dos et toucha le sol en un bruit de tonnerre. Pas besoin de se retourner : c’était la herse. Dans les

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