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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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tortiller.
    — Parle !
    La flétrissure de ce visage correspondait au négligé de la toilette : un bliaut verdâtre, crasseux ; des chausses noires, trouées aux genoux ; des heuses boueuses et si vieilles que leur extrémité bâillait. Enfin, les reflets des flambeaux donnaient au rubis que Saint-Rémy portait au médius droit, enchâssé sur un large anneau d’argent, l’apparence d’une goutte de sang.
    Après cet examen sommaire de l’homme qu’il affrontait, Ogier se sentit disposé à parler. Mais le mouton cessa de tourner au-dessus des flammes qui foisonnaient comme une végétation d’or et de pourpre dans le ventre de la cheminée, et le silence le gêna.
    — C’est prêt, dit la ribaude.
    De ses paumes, elle écrasa des sueurs sur son front et ses joues.
    — Bon, fit Saint-Rémy en cessant de tordre son bouc.
    Puis se tournant vers Ogier :
    — Ainsi, te voilà en mon pouvoir.
    La broche se remit à tourner avec un petit couinement rageur, et dehors, le vent déchaîné ferma une porte. Les chiens, un instant muets, raboyèrent. Il y eut des cris, des bruits de courses, une turbulence sournoise – comme un prélude à quelque action mauvaise. Pour échapper aux transes dans lesquelles il s’engluait, Ogier parla :
    — Les routiers cantonnent aux Banchereaux jusqu’à la lisière de vos terres. Vous ne pouvez voir leurs feux de votre donjon, mais ils sont là.
    Saint-Rémy pencha en avant son visage débiffé, exsangue et impénétrable :
    — Et mon parent s’inquiète ?
    — Pas pour lui… Il dispose d’une bonne garnison, renforcée par les maçons, les charpentiers, et tous ceux du hameau. Ses parois sont neuves et solides.
    — Tandis que les miennes ne le sont pas ?
    Ogier s’aperçut qu’en comparant implicitement les deux châteaux, il avait commis une faute : l’orgueil de Saint-Rémy saignait.
    — Mes aïeux à moi n’ont pas été pillards aux Croisades ! beugla le vieil homme en se levant, puis en retombant sur son siège. La terre sainte, pour moi, c’est celle que tu as indûment foulée !
    Il s’ébaudit ; ses soudoyers l’imitèrent, ouvrant de grandes gueules noires. Haguenier et Renaud se taisaient : ils ne pouvaient prendre parti contre le baron au service duquel leur père les avait placés, mais si leurs lèvres pincées donnaient à leur visage une expression chagrine, leurs yeux riaient. Et tandis que le grincement de la broche cessait, Saint-Rémy reprit :
    — J’ai vécu de misère en misère, c’est pourquoi ce châtel est étroit et plus mal juché sur sa motte que celui de mon beau-frère. Mais il est solide. Bien gardé.
    Les hommes d’armes approuvèrent leur seigneur d’un coup de tête et d’un grognement.
    — Quand le pont est levé, le ratel abattu [234] nul ne peut m’atteindre, Argouges !… C’est aimable à Guillaume de m’avoir fait prévenir, mais vois-tu, juste après son départ, nous avons su qu’il se tramait quelque chose : à leur retour de chasse, trois de mes hommes ont attrapé un rôdeur sous nos murs. Il n’est pas de chez nous : ça se sent à sa voix… Il nous a raconté qu’il venait d’au-delà de Limoges et se rendait à Toulouse. Il s’est paraît-il égaré après qu’on lui a volé son cheval. Il ment !… Demain, s’il est toujours aussi peu baveux [235] , je le ferai dépiauter… Les Anglais sont loin, damoiseau… Mais le royaume est plein de malandrins : celui-ci, crois-moi, va effrayer ses pareils, et bien plus aisément, à lui seul, qu’une compagnie d’archers : en le voyant écorché au-dessus de ma porte, les envieux s’en iront chercher fortune ailleurs !
    Saint-Rémy avait baissé progressivement la voix. Il termina sa phrase sur un soupir de délectation qui donna un haut-le-cœur au damoiseau. Cet homme à la mine tellement négligée qu’on eût dit un ribaud, en dépit des allures souveraines qu’il prenait sur son siège, l’indignait autant qu’il l’épouvantait. Quelque chose d’indéfinissable, mais d’assurément pervers, fermentait derrière les bourrelets de ce front bas et blême. Et dans l’expectative où il s’était trouvé précipité, Ogier devina que chez ce vieillard, la propension au mal aiguisait un insatiable appétit de luxure. D’ailleurs, il suffisait de voir le visage effrayé de la fille, lorsqu’il l’enveloppait du regard, pour comprendre que ce démon confondait avec délices la géhenne et la volupté.
    Les

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