Les lions diffamés
plus chiche que Didier, qui trichait au jeu pour s’enrichir… Quant à être le champion du Bien contre le Mal, c’était plutôt le contraire… Au reste, il tenait mieux, hélas, son braquemart que son épée.
Saint-Rémy s’était rassis. Ses mains tremblaient sur les accoudoirs de son siège.
— Emmenez-le, les gars. Demain il regrettera ses paroles.
Ogier fut contraint d’avancer. Il s’aperçut alors, au vacarme qu’ils répandaient, que les hommes d’armes étaient chaussés de sabots.
— Mon oncle va vous faire payer cette traîtrise.
— Ton oncle ! Ton oncle !… Il est à une lieue, le Guillaume. Et s’il vient en bonne compagnie, sa bastille sera sans défense… Car il lui faudra m’assiéger pour t’avoir.
— Prenez garde !
— Sois tout de même assuré que je te rendrai à lui, damoiseau. Mais il te remportera dans la même litière que celle où il m’amena mon fils.
Ogier feignit de ne pas s’émouvoir de cette allusion pourtant précise, mais le désespoir l’accablait. Il tenta de le surmonter : « D’ici demain, je trouverai un moyen de m’enfuir ! » Un instant ses yeux croisèrent ceux de la ribaude. Il crut y trouver des lueurs de pitié, d’espérance. Elles ne le rassurèrent pas.
La broche se remit à tourner avec son petit bruit de bête gémissante.
Entre les deux barbus accrochés à ses poignets, le damoiseau traversa la cour infecte. Les chiens aboyaient toujours.
Le picquenaire ouvrit, le long d’un mur, la porte d’un réduit. Son compagnon, d’un violent coup de sa masse épineuse, y précipita le prisonnier. Le lourd battant se referma. Il y eut des rires, un commentaire : « Tu pouvais lui briser les reins ! » puis deux verrous grincèrent.
Tandis que décroissaient les pas bruyants des deux hommes, Ogier entendit les cris des rats que sa présence éparpillait sur une jonchée de paille, puis le cliquetis d’une chaîne.
— What ?… Qui vient ? demanda une voix.
— Ogier d’Argouges, au service du baron de Rechignac, son oncle. En son château, je viens d’achever mes enfances.
— Approchez ! Approchez !
Paralysé par la trop épaisse obscurité de ce qui, à l’odeur, était une ancienne porcherie, le garçon n’osait poser un pied en avant, de crainte de marcher sur l’inconnu.
— Approchez ! insista l’homme. Je suis adossé au mur. Mais courbez-vous : le plafond est bas…
Penché, les bras tendus, Ogier avança en direction du bruit des fers. Sa tête heurta une poutre. S’agenouillant, il toucha des mains, des poignets serrés dans d’épais bracelets.
— Voilà, dit-il. Vous ont-ils aussi rivé des ceps aux chevilles ?
— Non.
— Je peux peut-être vous aider.
— J’en doute. Toutefois, nous allons essayer de desceller l’anneau qui fixe cette ferraille au mur… Mais assieds-toi un moment, compagnon ! Rien ne presse.
Après celui de Saint-Rémy, ce tutoiement pourtant brutal réconforta le damoiseau. Il s’assit. Près de lui, l’homme respirait à grands traits tandis que sur le toit la pluie grésillait comme une friture. Les chiens s’étaient tus, et succédant aux affligeants décors du dehors, la tranquillité de cette geôle avait quelque chose de rassurant.
— Une fois sortis de là, nous pourrons nous laver comme du linge sale. Et je te garantis, my new fellow, que nous n’y pourrirons pas.
— Votre parler est différent du nôtre. Êtes-vous anglais, messire ?
— Que t’importe !
Les chaînes cliquetèrent. Un rat couina quelque part. Les yeux d’Ogier, à la recherche d’un peu de clarté – un trou, une rainure –, aperçurent un bref reflet. Ce devait être les prunelles de l’inconnu.
— Sais-tu à quoi je rêvais avant que tu n’arrives, my boy ?… À une table bien dressée, à un grand hanap plein de beer… Je veux dire de cervoise… ou de vin. Je ne suis pas pour les ripailles. On me dit même sobre. Je ne fais seulement bombance que quatre ou cinq fois l’an. La bonne chère nuit aux méditations et charge les muscles de graisses néfastes. Sais-tu, my boy , que ces niais regretteront ce qu’ils nous ont fait ?
Ogier écoutait cette voix d’ombre et de fureur. Il ruisselait de sueur et se sentait pourtant glacé jusqu’aux moelles. Haletant de rage, il tourna son dépit contre Renaud et Haguenier :
— Ah ! messire, confïa-t-il à l’inconnu, je suis comme vous victime de ce vieux saligot. Mais deux gars
Weitere Kostenlose Bücher