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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’ardeur.
    Un homme tel que lui ne pouvait craindre une bataille, même sur mer. Des épaules carrées, une vaste poitrine, un cou vigoureux et court, rugueux d’une barbe grise ; une tête taillée à la serpe dont les pommettes en bosses rougissaient sous l’effet du vent ; une mâchoire solide, aux angles saillants. Il y avait du lion ou du tigre en ce guerrier qui s’inquiétait sourdement :
    — Tu trembles… As-tu peur ?
    Ogier se dégagea, suffoqué :
    — Peur ?… Ah ! Non, messire… Ils sont enfin là ! Je les vois… Ils sont tels que je les imaginais.
    Aussi surprenant que ce fut pour Blanquefort, le jouvenceau n’éprouvait aucun effroi. Il était, au contraire, heureux et soulagé : ils étaient là ! Nulle objection, pas même cette sensation diffuse que la mort avait pris position en même temps que les Anglais, ne pouvait résister au choc de cette certitude enivrante : ils étaient là ! Ils manœuvraient, carguaient leurs voiles et la bataille paraissait inévitable – une bataille qu’il sentait à la mesure de son courage, de son énergie et d’un appétit d’action tout neuf, confinant à la voracité. Pour la première fois, le plancher du Christophe était solide et stable sous ses semelles.
    — Je veux me battre, dit-il.
    Blanquefort eut une sorte de ricanement :
    — Es-tu certain que ce soit si simple ?
    — Je sais manier une épée, messire !… En doutez-vous ?
    Le sénéchal tendit ses mains, paumes en avant, du côté des Anglais, comme s’il était doué du pouvoir de les tenir à distance :
    — Tu vois ces nefs, là-bas, rapetissées au point qu’elles semblent des jouets, mais tu distingues mal les hommes qu’elles contiennent… Je comprends qu’ils ne t’effraient pas, car d’où nous sommes on dirait des fourmis. Cependant, fie-toi à moi : de près, ces guerriers sont aussi valeureux que terribles.
    — Je veux me battre !
    — Crois-tu que ton père te le permettra ?… Crois-tu qu’infailliblement nous les repousserons s’ils nous abordent… même si tu nous aides ? Allons, mon gars, au lieu de les regarder de cet œil supérieur, cherche plutôt l’endroit d’où tu plongeras si le sort nous est funeste.
    Bien que l’ironie de Blanquefort l’eût contrarié, Ogier jugea inutile de se rebiffer au moyen d’une réponse insolente. D’ailleurs, le sénéchal avait raison : son père lui refuserait une épée, alléguant qu’il était trop jeune, inexpérimenté, sans heaume ni haubert.
    D’une voix hachée par la colère, il demanda :
    — N’ai-je pas le droit, messire Blanquefort, de me sentir aussi hardi que vous, que mon père et mon oncle ?… Cette aversion pour les Anglais, où l’aurais-je prise, sinon dans les propos de mon père, puis dans ceux que vous et mon oncle avez échangés avec lui. Comment voudriez-vous que je la refoule ?
    Tournant le dos à la flotte ennemie, il regarda autour de lui tous ces hommes prêts à combattre. Chaque lueur d’acier nettement détachée de la grisaille des cottes, des tissus, des boiseries du Christophe lui parut alors si nette, si rassurante, si intimement liée à la fortitude quasi tangible de tous ces guerriers aux aguets, qu’il s’en émerveilla comme d’un signe annonciateur de réussite.
    — Ah ! Messire Blanquefort, soupira-t-il, si vous doutez de la victoire, pas moi !
    Avec une satisfaction plus exaltante encore que lors du départ de Honfleur, il constatait combien, corps et âme, il appartenait à cette armée flottante dont les quelque deux cents passagers du Christophe constituaient les éléments d’élite. Où qu’il posât ses yeux, tout le réconfortait : ces Génois effrontés, querelleurs, devenus soudain muets, sereins, en position défensive, l’arbalète prête à cracher son carreau ; ces seigneurs, chevaliers, écuyers au gantelet crispé sur la prise de leur épée ; et même cette guisarme à l’acier scintillant, surgie d’une écoutille et maintenue d’aplomb, à deux mains, par un baron inconnu dont l’œil unique reflétait une morgue immense ; cette bannière éployée frappée d’une aigle d’argent sur fond d’azur sous laquelle s’étaient groupés trois membres d’une même famille : un vieux – le père – et deux jeunes : les fils. Tous ces hommes – comtes, barons, bacheliers, mercenaires –, en attendant l’engagement, lui fournissaient l’image multiple et vivifiante d’une volonté, d’une

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