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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ricocher sur les sillons aux crêtes écumantes. Et tout en observant ce vieillard rêveur, calfeutré dans une houppelande noire fourrée d’hermine, Ogier se dit qu’il préférait la terre ferme, et surtout sa terre natale, à cette immensité molle aux confins blafards ; le ciel de Normandie à celui qui, au-dessus des voiles gonflées et des bannières ondulantes, ne cessait de rouler des torrents de nuages obscurs.
    — Si j’avais su ce qui se passerait, dit Guillaume, je serais resté à Rechignac !
    Soudain, le Christophe changea de cap et les nefs d’accompagnement amorcèrent la même manœuvre.
    — Je crois que nous faisons demi-tour, dit Blanquefort.
    — C’est par Dieu vrai ! se réjouit Guillaume. Et nous n’avons ouï aucun commandement.
    — Enfin ! soupira Godefroy d’Argouges. Je bénis l’homme qui manœuvre le peautre [38] .
    — Mais pourquoi, Père, tout ce temps perdu ? demanda Ogier.
    — Est-ce volontairement, insista Blanquefort, que Blainville aurait laissé la mer à la disposition d’Édouard entre Douvres, Calais et les côtes de Flandre ?… En ce cas, cela ressemblerait fort à de la traîtrise !
    — C’est un cagou [39] , capable de tout. Mais un traître ?… Non ! Pourquoi irait-il trahir le roi et son fils ? Ils ne cessent de l’élever… Quant à la reine, elle le couvre, dit-on, de bienfaits.
    — Beau-frère, dit Guillaume, tes arguments sont d’un honnête homme. Ils ne peuvent s’appliquer à celui-ci… Il peut très bien manger dans deux écuelles… Certains Normands – tu le sais mieux que moi – sont favorables aux Anglais. Pourquoi pas lui ?… Mais cessons d’en parler. L’important, pour ce jour, c’est que nous voguions enfin vers l’Angleterre… Toute la navie cingle vers le Levant.
    Au milieu de cette journée, une déception nouvelle fut infligée à Godefroy d’Argouges et à ses compagnons, car plutôt que de faire voile vers l’île de Wight, Portsmouth, Eastbourne, Hastings ou Douvres, afin d’aborder, s’ils n’avaient encore pris la mer, les Anglais au sortir de leurs repaires, les nefs de France longèrent les côtes normandes, puis voguèrent lourdement vers la Zélande, qu’ils atteignirent en quatre jours, le vent leur étant contraire.
    Godefroy d’Argouges héla Blainville au matin du cinquième jour quand celui-ci, ayant délaissé le paradis pour inspecter les Génois, remontait à son perchoir.
    — Alors, messire ? Dans quel sens allez-vous désormais nous conduire ? Je ne crois pas que vous ayez abandonné les rênes à Hue Kieret, comme on l’affirme autour de moi depuis que nous avons rebroussé. Vous êtes trop accroché au pouvoir pour accepter de le partager !
    — Je n’ai rien à vous préciser.
    — Allons, messire, tout doux. Dites-moi seulement ce que nous allons faire. Comme tous ceux d’ici, j’ai le droit de savoir.
    — Vous n’avez aucun droit, simplement des devoirs !
    Étonné par la lividité de cet homme exécré, Ogier pensa qu’il souffrait lui aussi du mal de mer, à moins que ce ne fût de la chaleur, si forte déjà que certains Génois s’étaient à demi dévêtus sans que leur capitaine y trouvât à redire.
    Blainville portait un pourpoint de velours grenat et des chausses noires enfoncées dans des heuses légères. Une épée pendait à sa hanche dans un fourreau de cuir aux viroles d’or. Furieux d’avoir été interpellé devant ces arbalétriers moqueurs auxquels se mêlaient des seigneurs attentifs, il gravit quelques marches pour éluder une querelle qui ne pouvait que le desservir. Mais, formant un cornet de ses mains, car le vent soufflait en courtes et bruyantes rafales, Godefroy d’Argouges hurla :
    — Avez-vous compris ce que je vous ai dit ?
    Blainville se retourna. Sous son buisson de poils noirs, sa bouche se plissa dans une expression méprisante :
    — Je n’ai nullement l’intention de vous répondre, dit-il, cramponné à la rampe de l’escalier, car le Christophe tanguait fort. Soyez prêt à combattre… Et vous aussi, Rechignac… Quant à toi, Ogier, je n’ai pas oublié la moleste [40] que tu m’as criée alors que je quittais Gratot… Ah ! Je suis un malandrin ?… Un jour, jeune coq, tu me paieras le prix de ton outrecuidance !
    Ogier vit la main paternelle empoigner la prise d’Almire.
    — Père, dit-il, sans éprouver le moindre repentir, il est vrai que j’ai outragé cet homme le jour où il vint demander

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