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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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comme lui maintenant, combien son ardeur belliqueuse, telle qu’il l’avait manifestée, participait d’une exaltation naïve, inconséquente.
    — Je ne m’éloignerai pas, dit-il. Je me suis engagé, en quittant Gratot, à vous obéir en tout point… Même s’il m’en coûte, je ne faillirai pas à ma parole.
    Il n’avait pu s’empêcher d’assortir cette nouvelle promesse de soumission d’une remarque destinée à rassurer son père, tout en lui révélant son état d’esprit. Il ajouta cependant :
    — Vous agirez sans vous soucier de moi. Je serai prudent mais vous adjure de l’être plus encore lorsque ces démons seront là !
    — N’aie crainte !
    Et pour dissiper sa gêne ou son inquiétude, Godefroy d’Argouges ébouriffa les cheveux de son fils tout en lui demandant d’une voix railleuse, en désaccord avec la gravité de son visage :
    — Te font-ils peur ?
    — Non, par le sang de nos aves [48]  !
    Il ne mentait point. Il était furieux, haletant, le cœur lourd mais sa détestation des Anglais l’empêchait de céder à l’angoisse : ces loups trop enclins à dépecer le royaume de France ne pourraient que reculer sous les coups.
    Comme il se retournait pour regarder les navires ancrés derrière le Christophe, il entrevit le plat pays grisâtre et verdoyant où les Flamands pouvaient se tenir à l’affût.
    — Le péril peut aussi venir de par là.
    — Eh oui ! approuva Godefroy d’Argouges. Je m’y attends.
    — Vous vaincrez… Vous êtes supérieurs en vaisseaux et en hommes.
    Ogier s’interrompit, étonné d’avoir parlé moins pour se rassurer que pour ragaillardir son père, car soudain, malgré la vigueur tranquille que cet homme dégageait, il le devinait soucieux, nerveux, peut-être résigné. Après ses fréquentes colères, sa soudaine sérénité semblait un mauvais présage.
    — Gardez-vous bien ! insista-t-il.
    — Nous ferons notre possible. Pas vrai, vous deux ?
    Sous le dôme luisant de la cervelière à nasal, les faces de Guillaume de Rechignac et de Blanquefort étaient crispées, pâlies. Leurs yeux avaient perdu leur éclat, ce dont Ogier s’inquiéta jusqu’à ce que, regardant les guerriers autour de lui, il eût trouvé sur la plupart des visages la même expression résolue. Allons, la fortitude qu’il devinait ramassée chez ces hommes, les trente mille autres groupés sur les nefs de France la possédaient eux aussi.
    — Oui, mon gars, nous devons les vaincre s’ils nous attaquent. Il le faut, mais nous y perdrons beaucoup de compagnons…
    Ainsi, Godefroy d’Argouges n’affirmait pas : « Nous les vaincrons. » Son « nous devons les vaincre » avait des relents de défaite.
    — Allons, fils, ne fais pas cette tête-là !… Je t’ai demandé de me suivre et tu as accepté de grand cœur… Accomplissons notre devoir et advienne que pourra.
    — Je ne regrette rien, père, et suis fier d’être en votre présence.
    Touchant son perce-mailles, Ogier découvrit combien cette arme, si petite fut-elle, était nécessaire à l’égalité de son humeur et surtout à sa confiance en lui-même.
     
    *
     
    Lorsque le crépuscule empourpra les nuages, rien ne s’était passé : les ennemis s’observaient. Les équipages des nefs de France, après avoir lentement manœuvré, venaient d’ériger entre la terre et les Anglais un rempart si long et si large qu’Ogier, après l’avoir contemplé du sommet du château d’avant, fut convaincu de l’invincibilité de cette flotte devenue citadelle, et dont seule, pareille à une barbacane de bois pavoisée aux lis de France, l’étrave du Christophe débordait sur la mer.
    — S’ils attaquent, nous les contiendrons ! s’exclama Bahuchet en tournée d’inspection.
    — Par Dieu, oui ! S’ils se frottent à nous, ils souffriront et saigneront ! renchérit Hue Kieret.
    Tout en parlant, l’amiral frottait ses mains maigres, couvertes d’un lacis de veines énormes, chenilleuses. Godefroy d’Argouges les interpella :
    — Croyez-vous vraiment, messires, triompher de ces batailleurs ? Tête-Noire avait vu juste : il nous fallait les surquérir [49] .
    — Non ! C’eût été commettre une imprudence. Rester là, baron, c’est sagesse.
    Toisant ce vieillard chétif, engoncé dans une robe noire, sale et déchirée, le seigneur de Gratot eut un haussement d’épaules dans lequel Ogier trouva moins de mépris que de commisération.
    Bahuchet

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