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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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subsistaient des odeurs de venaison. Près du seuil, mais avant de passer devant Adelis, qui venait d’éloigner, d’un geste lent, les cheveux épars sur son front, il se retourna : Tancrède le regardait partir, immobile devant l’âtre rougeoyant, singulièrement juvénile – inquiète et désirable.
    « Voilà que la frayeur en refait une femme ! »
    Il sortit mécontent et ne sachant pourquoi.

IX
    — Messire… Messire !… Bon sang, réveillez-vous ! La bouche amère et les yeux picotants, Ogier sortit du sommeil : Girard, un flambeau à la main, le secouait par l’épaule.
    — Messire, pardonnez-moi, mais il vous faut me suivre.
    Le damoiseau se leva, mal remis et malcontent de sa fatigue.
    — Les Goddons s’apprêtent à nous assaillir ? Sous le dôme brillant du chapel de fer, la face tannée du soudoyer s’éclaira d’un sourire :
    — Rassurez-vous, messire… Vous n’avez dormi qu’un tantinet.
    — Il fait nuit ?
    — Toujours… Votre oncle vous mande auprès de lui. Il a décidé de nous parler à tous.
    Ogier enfila ses braies, ses chausses, un justaucorps de laine. Après qu’il eut mis ses heuses, Girard l’aida à passer son haubert.
    — Tout est quiet vraiment ?
    — Oui, sauf à la forge… Les armuriers y œuvrent pour vous.
    — Déjà !
    Il les avait rencontrés en quittant les cuisines. Ils l’avaient accompagné jusqu’ici pour prendre ses mesures. Ensuite de leur départ, il s’était allongé afin de se délasser un instant. Le sommeil l’avait assommé.
    Il ceignit son épée. À son heaume, lourd, enveloppant, il préféra la cervelière que Guillaume lui avait offerte pour ses dix-sept ans. Regardant son faucon, irrité, sur sa perche, il pria Girard de baisser sa torche.
    — Titus n’aime pas cette lumière… Allons, viens.
    Ils sortirent. Ogier demanda, tandis qu’ils traversaient la haute cour :
    — Qu’a-t-on fait depuis mon retour ?
    — Blanquefort a réuni les jouvenceaux… Seuls les vieillards, les mères et leurs nourreçons peuvent dormir cette nuit.
    — Qu’a-t-il fait de tous ces jeunes ?
    — Un tri parmi ceux du hameau et ceux d’ici. Les gars préparent des boulets ou s’emploient à d’autres tâches. Les filles font de la charpie… Mais voyez : nous arrivons à point… Jean va corner le ralliement.
    Au second mugissement de la trompe, la cour fut envahie d’hommes, de femmes, d’adolescents et d’enfants. Sans hâte, ils se groupèrent devant le pont d’accès au donjon, que le damoiseau et Girard franchirent.
    Accompagné de Blanquefort, Saint-Rémy, Aspe portant une torche et Saladin bâillant d’ennui, Guillaume apparut au sommet du perron.
    — Te voilà, mon neveu, c’est bien.
    D’un coup d’œil, il dénombra ses gens immobiles, croisa les bras dans une attitude autoritaire, et haussant le ton :
    — Les routiers de Canole s’apprêtent à nous livrer un assaut sans merci !… C’est le plus cruel Goddon de ces temps de désespérance et de haine… Dites-vous bien que si ces malfaisants venaient à bout de mes parois, vous subiriez le sort de ceux de Saint-Rémy, que certains d’entre vous connaissaient, et qui tous ont été occis, sauf leur seigneur présent à mes côtés !
    Était-ce une perfidie à l’adresse du père de Didier ?
    Vu la gravité du moment, Ogier en douta tout en observant son oncle dont l’émoi réduisait le souffle.
    — S’il vous plaît de savoir ce qu’il en coûte d’être couard, vous n’avez qu’à leur permettre d’entrer.
    — Non ! Non ! crièrent aussitôt les culverts, les manouvriers et les hommes d’armes.
    Leurs voix grondantes, colériques, semblèrent terribles au damoiseau. Cependant, par la détermination qu’elles exprimaient, il les trouva rassurantes, attrayantes. Canole, au lieu d’une guerre entre leurs deux pays, lui avait parlé d’une « affaire de famille » : eh bien, pour la cause du Périgord et du royaume, et surtout pour la sauvegarde de Rechignac, il se sentait parent de ces hommes ; parent dans le courage, parent dans la vaillance et la foi en l’avenir. Le brouillard où se dandinaient les petites touffes rouges des torches irrita soudain ses yeux. Le brouillard ? Il n’eût osé l’affirmer.
    — Voilà qui est bon, commenta le baron en quêtant l’approbation de son entourage.
    Puis, les mains tendues vers la foule :
    — Je ne veux pas être tenu pour mençongier : nous sommes un peu plus de

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