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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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deux cents ; ils sont mille ou deux mille… Nous nous défendrons hardiment… Nous avons des armes, de l’eau, de la mangeaille, et mes parois sont plus épaisses que la longueur d’une lance. Nous les repousserons !
    — Oui, on les renverra au diable ! cria Gilles Champartel, approuvé par Thierry, au premier rang de l’assistance.
    Des acclamations et des applaudissements jaillirent en une éruption brève, intense, achevée incongrûment, alors qu’elle s’apaisait, par de joyeux « On les aura, on les aura », lancés d’une voix nasillarde : entre les forgerons ahuris, Philippe le bâtard claquait des mains et sautillait d’allégresse.
    — Mort aux Anglais ! conclut-il en éclatant de rire.
    — T’as fini, oui ? Qu’est-ce qui m’a fichu ça ? cria de loin Mathilde.
    Tandis que le garçon s’enfonçait dans la cohue, y provoquant des injures et des bourrades, Guillaume consterné toucha le sénéchal du coude :
    — C’est le seul à se croire à la fête…
    — Eh oui, fit Blanquefort. Les autres seront audacieux et rudes ; lui, dès le premier mort, foirera dans ses braies !
    La plupart des hommes d’armes veillant aux créneaux, les culverts, charpentiers et maçons formaient une masse vivante, compacte. Tout en les observant, rempart de chair et de volonté devant les femmes attentives et pétrifiées de peur, Ogier se demanda si tous ces hommes auraient à chacun des assauts le même courage qu’au premier. Ils n’avaient jamais tué d’être humain, jamais vu tuer, jamais assisté au trépas d’un compagnon dans les convulsions d’une mort par l’acier ; jamais entendu ces cris de souffrance furieuse dont il gardait le souvenir. Il les connaissait tous de vue, mais il eût été incapable de mettre un nom sur chacun de ces visages. En fait, ces tâcherons étaient pour lui presque des étrangers.
    — Craignez rien, messire Ogier, dit Aspe, perspicace, en agitant son flambeau. Quand un mouton devient enragé, y a pas pire. Ils se battront. Tenez : voyez les jouvenceaux !
    Débordant Massoutier, Griveau, les frères Champartel, les jeunes franchissaient le pont et s’approchaient du perron. Une espèce d’émulation mortelle les possédait. Le damoiseau regretta de ne pas être leur familier ; de n’avoir jamais essayé de le devenir. Certes son oncle lui avait commandé de seigneurier le commun par la voix, le geste ou l’indifférence : « Oignez vilain, il vous poindra, poignez vilain, il vous oindra. » Avait-il eu raison d’être aussi scrupuleux ?
    Soudain, eu égard aux circonstances, les conseils, injonctions et préceptes entendus pendant cinq ans de présence à Rechignac lui parurent surannés. Par leur seule irruption, les Anglais bouleversaient les mœurs et les contraintes, et rapetissaient toutes les différences. Le baron demeurait le baron, mais le commun, négligé, méprisé, s’élevait irrésistiblement dans la hiérarchie de la forteresse. Plus que jamais Guillaume en avait besoin ; plus que jamais sa vie dépendait de la vitalité de cette multitude.
    « Grâce à Dieu ils sont tous décidés à se battre. »
    Ils l’étaient certes davantage pour sauver leur existence et celle de leurs proches que celle de leur maître, de ses filles et de ses hauts serviteurs, mais qu’importait !
    Le garçon descendit un degré puis un autre. Les corps se confondaient devant lui. Les souffles de tous ces poumons oppressés formaient au-dessus de cette foule tantôt figée, tantôt remuante, des vapeurs que le vent dissipait. Faces glabres ou poilues sous le chaperon de tiretaine ou la coiffe de fer ; corps minces ou trapus sous le tissu râpé, la maille ou l’écaillé : dans le vaste creuset des hauts murs toujours pleins à ras bord de ténèbres, c’était une armée en gésine qu’il découvrait, à la fois disparate et homogène, consciente de ses faiblesses autant que de son efficacité.
    — Il nous faut résister ! Récalcitrer à outrance ! tonnait le baron.
    Encore deux marches. Un sentiment composé d’amitié, de satisfaction, de remords poussait le damoiseau à se joindre à ces hommes et surtout à ces adolescents impatients de combattre.
    — Ogier ! hurla Guillaume.
    Il remonta, docile, à côté du vieillard, et, si lentement qu’il l’eût fait, il se méprisa d’avoir obéi. Alors, le baron, prenant d’une main appui sur son épaule, passa de l’exhortation à la prophétie :
    — Chaque jour va

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