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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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table.
    — Ils les ont tous occis à Saint-Rémy ?
    — Tous sauf les bêtes et les quatre que j’ai ramenés.
    Allait-elle continuer de l’interroger ? Il était ailleurs, loin de ce château fangeux : dans la forêt. Dans une caverne. Anne s’y trouvait-elle vraiment en sécurité ?
    — Pourquoi me regardes-tu ainsi, cousin ?
    Il s’obstinait à découvrir la source du charme de cette fille presque violée devant lui et nullement humiliée, apparemment, par cette mésaventure.
    — Tu es heureux d’être revenu près de moi !
    Il hocha la tête et se garda de répondre. Allait-il la trouver dorénavant plus belle, par indulgence ou gratitude, à cause du plaisir sans frein qu’elle avait manifesté en le retrouvant ? Non ! Alors, devait-il attribuer cette soudaine attirance à son corps seul, moulé par ces vêtements d’homme, et dont il connaissait désormais les rondeurs, les pâleurs, les secrets.
    — Tu as mis en péril ta vie pour peu de chose.
    Une douceur venue du tréfonds de son être éclaira le visage et les yeux de Tancrède :
    — Mais c’est bien ! Tu es plus vaillant qu’aucun de ceux qui nous entourent.
    Si sa bénignité paraissait empruntée, ses nerfs vibraient avec sincérité : un frémissement animait son cou, le coin de ses lèvres, l’aile de son nez.
    — Je n’ai pas aventuré ma vie pour peu de chose. J’ai ramené…
    — Pour ce que tu as ramené, cousin ! Un vieillard luxurieux, deux bacheliers couards et (elle baissa la voix et se tourna vers Adelis) une pute dont tu veux sans doute profiter.
    Il ne répliqua rien tant cette dernière remarque était excessive, et lui tendit sa main blessée. Elle en défit les bandages et, l’approchant des chandelles, elle l’examina et fit la grimace :
    — Lève-toi.
    Il la suivit jusqu’à la cheminée. Il regarda la plaie à la lueur des braises. Elle lui parut saine malgré l’enflure de ses lèvres pâles, entrebâillées sur une chair vermeille où le sang suintait.
    Tancrède saisit une cruche sur un dressoir, puis une touaille accrochée à la muraille. Elle fit couler de l’eau sur la blessure.
    — Didier t’a salement meshaigné !… Ça te pique ?
    — À peine.
    Elle essuya la main et prit, sur le linteau de chêne noirci par les fumées, deux pots de terre. L’un contenait des pétales de fleurs de lis macérant dans de l’eau-de-vie (elle en appliqua sur la plaie), l’autre de petits morceaux de linge. Elle en apposa sur les pétales.
    — Ne bouge pas !
    Elle ouvrit une armoire et sortit des charpies et des bandelettes dont elle entoura la main blessée.
    — Crois-tu qu’ils franchiront nos parois ?
    — Le crois-tu toi, cousine ?
    Elle ne répondit pas. Quant à lui, il redoutait d’éprouver, lors d’un assaut des malandrins, une crainte, une hésitation qui le figerait un moment lors d’un mouvement de défense et lui porterait un préjudice mortel. Il ne devait plus rien attendre de bon de Robin de Canole ; il avait, à force d’exigences, épuisé sa patience.
    — Canole ! dit-il. Il a un nom anglais qu’il n’a prononcé qu’une fois… Knolles… Robert Knolles… Ils sont effrayants, cousine. Effrayants !
    Et c’est vrai : tous ces combattants impitoyables, dans les ténèbres de Saint-Rémy, l’avaient épouvanté sans qu’il s’en rendît compte. C’était maintenant qu’ils lui faisaient vraiment horreur. Têtes de poils et de sueur ; lividités et brillances oppressantes des vêtements tachés de boue, de sang, de sanie, d’excréments. Et les cris, les hurlements de mort. Et cet homme d’armes percé d’un épieu et vomissant un sang épais comme une confiture…
    — Tu crois qu’ils entreront ? insista Tancrède.
    — Jamais…
    Cette certitude n’empêchait pas le damoiseau d’être inquiet. Si vaillante qu’elle fut ou voulût le paraître, sa cousine serait glacée d’horreur en découvrant cette multitude guerrière du haut du donjon où sa curiosité la hausserait. Il frémit en se souvenant du regard de Barbiéri. Les loups eux-mêmes n’avaient pas une pareille férocité dans leurs prunelles. Et les griffes de ce fauve sur le sein de la ribaude…
    Paupières closes, il écouta Tancrède replacer les pots sur le linteau. Quelque chose de suave et de mélancolique se mêlait à sa fatigue. Peut-être le contentement d’avoir bien agi.
    — Va te coucher un peu, Ogier… Tu parais las…
    Il traversa la longue salle où

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