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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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nous apporter son lot de meschefs [247]  : plaies et membres rompus, souffrances et trépas !
    Il se tut, cherchant comment conclure, et faute de trouver des mots satisfaisants, il descendit les degrés du perron. Mais il ne portait plus ses mains en avant : il brandissait ses poings déjà gantés de mailles :
    — Par Dieu et saint Michel qui nous assisteront et avec l’aide des Neuf Preux [248] qui nous voient, j’en suis sûr, Canole et ses maudits se casseront les dents sur mes pierres !
    — Oui, ils se casseront les dents ! Nous rôtirons leurs chairs à la chaleur de notre huile ! Et nous les renverrons tous au diable si, à la malheure, ils s’obstinent !
    Blanquefort se tut. Guillaume lui jeta un regard oblique et reprit :
    — Je commanderai. Hugues, mon sénéchal, vous rapportera mes décisions. Mes pucelles et dame Mathilde s’occuperont de tout ce qui concerne les soins et la mangeaille…
    Le baron descendit une nouvelle marche ; Ogier s’abstint de le suivre, bien qu’il y eût été invité.
    — Que les femmes, enfants, vieillards aillent se coucher. Que les hommes et les garçons en âge de contrester [249] aux Goddons se rangent autour de Blanquefort et de Girard. Ceux qui n’en ont pas encore vont recevoir un arc ou une arbalète, des sagettes, carreaux et carquois. Bien sûr, ils auront aussi cotte de mailles et chapel de fer. S’il en manque dans les coffres de mes hommes d’armes, j’en prêterai des miens… Allons, mes hurons, hâtez-vous !
    Ogier se demanda si Guillaume, à présent, était capable d’admirer ses vilains. C’étaient – hommes, femmes, enfants – des acharnés. Quand ils défrichaient la forêt, en lisière du village, ils se mettaient à dix ou vingt pour basculer un roc ou extraire une souche profonde. Toujours un peu plus de bonne terre pour mieux vivre… Ils semaient et plantaient avec une obstination que rien n’amoindrissait. Ni la grêle et les orages ruineux, ni le gel, qui autant que le feu consume, n’entamaient leur confiance en de maigres récoltes. À se colleter chaque jour avec la glèbe et les éléments – plus difficiles à vaincre que les hommes –, ils étaient devenus forts, endurants, hargneux. Et c’étaient là vertus guerrières. De plus, ils le savaient : Canole avait brûlé Saint-Rémy ; leur hameau connaîtrait le même sort. Ils se battraient aussi par esprit de vengeance.
    — Vous pouvez compter sur vos loudiers, mon oncle. Ils seront aussi valeureux, le moment venu, que tous les compagnons que vous avez eu à la bataille.
    — Je te crois !… Venons à bout de cette truanderie, et je leur en serai reconnaissant !
    — Je l’espère bien.
    La foule se démembrait en silence. Arnaud Clergue passa. L’échine courbe et le front bas, il se hâtait vers la chapelle. Avait-il peur ? Ogier fut tenté de le suivre et de prier pour la sauvegarde de Rechignac. Mais il avait mieux à faire : monter au sommet du donjon pour y observer l’ennemi. Dieu, assurément, se montrerait plus patient que Robert Knolles.
     
    *
     
    L’aube se leva, ourlant d’un feston de nacre et d’orfroi la ligne brisée des forêts. Le vent, la pluie s’étaient apaisés. De partout des oiseaux jaillissaient ; leurs piailleries se mêlaient aux cocoricos de la basse-cour et aux meuglements de l’étable. Les statues argentées, sur les chemins de ronde, se mirent à remuer, à secouer dans leur dos leur carquois, à essuyer entre leurs doigts la corde de leur arc.
    — Un jour comme les autres, du moins en son commencement !
    Les paupières d’Ogier cillèrent : il avait cru apercevoir en bas, dans la brume immobile, un scintillement de métal. Appuyant sa main couverte de charpie sur la prise de son épée, il soupira, tourné vers Blanquefort.
    — Et voilà !… J’ai souvent imaginé ces pentes envahies ; elles le sont, bien que nous ne voyions encore aucun de ces malfaisants. Heureusement, les fourrés et les arbres sont rares, tout autour ! Jamais ils ne seront à l’abri… Nous pourrons prévoir leurs mouvements.
    — Qui sait ? À la guerre, rien n’est net… D’ailleurs la nuit leur plaît, à ce que j’ai compris… Il me tarde, en tout cas, d’épauler cette amie.
    Et le sénéchal tapota l’arbrier de son arbalète.
    Au loin, vers Excideuil, le ciel devenait verdâtre comme si la forêt déteignait sur quelques-uns de ses replis. Le damoiseau sentit sa gravité se résoudre en impatience

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