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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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roncière. Et c’était vrai ! Ogier les distingua, émergeant de l’étoupe dans laquelle ils s’étaient vautrés, et qui les abandonnait, fumerolle après fumerolle.
    Ils se tenaient presque au bas de la motte, à une arbalétée des murailles, comme une boue tigrée de rouge, de vert, de bleu, de jaune. Ils se mouvaient lentement, et parfois quelque chose de furtif étincelait : un heaume, une épée, une cotte. L’aube de ce mercredi avait, en plus de celles du ciel, les bariolures de cette marée d’hommes aux gestes avares, et tellement silencieux que le spectacle de leur déploiement, avant qu’ils ne se figent sur un ordre, paraissait irréel.
    — Nous pouvons désormais nous préparer à souffrir !
    Ogier se tut, gêné que l’anxiété eût broyé sa voix au point de la rendre méconnaissable. Ces mécréants friands de rapines et de carnages conservaient un aspect effrayant, même lointains, indistincts parmi les vapeurs onduleuses. Il frémit à l’idée qu’ils courraient bientôt droit aux murailles et parviendraient peut-être à dresser une échelle et à prendre pied entre quelques merlons. Il s’imagina taillant cette vermine en pièces et pressentit que lors de ces combats acharnés, dans la double exaltation de ses muscles et de sa fureur portés au paroxysme de la violence par le seul désir de survivre, il se révélerait à lui-même et passerait enfin de l’âge ingrat à l’âge adulte.
    — Je veux que mon épée ait un fourreau de sang.
    Blanquefort haussa les épaules. Après avoir connu, en des occasions variées, l’extrême impétuosité de la colère, il s’était apaisé.
    — Ah ! dit-il sans élever la voix, le remuement commence et la brume se dissipe.
    En effet, une houle agitait tous ces guerriers dont certains avaient dormi là, pêle-mêle. Ils se dressaient, s’étiraient. De loin, le cliquetis de leurs armes semblait insignifiant. Les cavaliers avaient parqué leurs chevaux dans un champ ; on entendait hennir les bêtes, soit de faim, soit d’agacement, tandis que les palefreniers s’affairaient, sellant certaines et bouchonnant les autres. Des charrettes de butin, alignées à la queue leu leu, obstruaient le chemin de Mayac. Et des feux s’allumaient entre des trépieds : on allait préparer la soupe avant de se disposer à l’assaut.
    — Il me semble entrevoir des charpenteries derrière des boqueteaux.
    — Que croyez-vous que ce soit, Hugues ?
    — Certainement des machines de guerre. Oh ! certes, il leur faudra les assembler, mais avant d’y procéder, ils nous assailliront sans elles.
    — Canole n’est pas seul à commander cette pendaille, dit Ogier, le bras tendu.
    Il y avait deux aucubes et deux trefs [250] à la corne du bois d’En-Bas, et non loin d’elles, plus vaste et d’un violet soyeux, un pavillon en forme de pyramide en haut duquel flottait une bannière noire. Devant cet édifice veillaient deux picquenaires en cotte jaune. C’était assurément la tente de Robert Knolles, tranquille et satisfait de ses prouesses nocturnes.
    Blanquefort grimaça :
    — Flairez-moi ça !
    Les exhalaisons de ce grand rassemblement d’hommes vermineux, puant le sang caillé, la sueur, la boisson, la mangeaille, parvenaient jusqu’au château. C’était comme une odeur de charogne.
    — Ils empunaisent la mort, dit Ogier.
    Et ce qui le surprit, ce fut le silence de cette ribaudaille qu’il avait entendue hurler de joie dans la cour de Saint-Rémy. Cette bonace immense, prélude à la violence et au vacarme, en imposait même aux oiseaux : ils avaient cessé de piailler ; le ciel, au-delà du château, était vide de leur vol.
    — Descendons rejoindre Guillaume, décida Blanquefort en repoussant le carquois qui venait de glisser sur sa hanche. Il est temps.
     
    *
     
    Sitôt hors du donjon, le sénéchal donna ses instructions :
    — Toi, Peyre, fais remonter quelques chaudronnées d’eau et des trépieds pour qu’elle bouille dessus. Raymond, fais-en disposer de pleins baquets devant les écuries et l’étable, et s’il le faut, prends les cuviers des étuves. L’eau est aussi une arme pour nous défendre du feu et des hommes… Perrine, cours à la chapelle. Dis à Clergue d’agiter sa campane un bon coup… Va au donjon, Lucie : tu dois enfanter. Songe à te protéger ainsi que ton petit. Venez, Ogier. Montons sur les parois.
    Bientôt, le tocsin bourdonna dans le clocher, éparpillant les corneilles et les

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