Les lions diffamés
Guillaume. Quant à nous, ne bougeons pas…
Soudain, des tambours firent entendre un roulement pareil à celui d’un orage, et les assiégés virent s’avancer le cortège que Robert Knolles avait constitué pour se livrer à des commençailles en bonne et due forme.
— Le voilà ! dit Ogier. Il vient en grand bobant [251] .
Chevauchant un roncin noir, l’Anglais avançait entre deux files de picquenaires uniformément vêtus de pourpre, coiffés du chapel de Montauban, le buste serré dans une pansière de fer. Il devait être fier de ces hommes qui, l’arme sur l’épaule, marchaient d’un pas égal sans que leur tête remuât d’un pouce. Quant à son accoutrement, celui-ci avait de quoi scandaliser Arnaud Clergue : une chasuble violette parfïlée d’or et d’argent couvrait comme un tabard son haubergeon de mailles ; une mitre – ou sa contrefaçon –, derrière laquelle bougeait une poignée de plumes d’aigle, l’embranchait jusqu’aux sourcils. Cet appareil blasphématoire aurait pu provoquer les quolibets et les insultes, or, nul ne s’ébaudit ni ne cria sur les remparts tant il était éloquent : il conférait à la sérénité du personnage une sorte de magnificence extraordinaire : le monarque des morts montait à Rechignac, et le marteau d’armes serré dans un gant de basane cramoisie prenait, vu de loin, la semblance d’un sceptre.
Devant le cheval du chef avançaient un héraut et un estuart [252] . Le premier, habillé de blanc, tête nue, présentait, sur un large coussin noir, un bassinet dont la forme semblait une copie d’un de ceux de Pedro del Valle. Le second, vêtu d’une livrée de soie violette, botté, coiffé d’un camail, tenait à deux mains, devant son visage, un cimeterre aussi courbe et brillant qu’un croissant de lune.
Suivant Knolles, chevauchant des destriers houssés de pourpre et superbement harnachés, venaient une douzaine de connétables, tous coiffés et cuirassés de fer, et maintenant debout contre l’étrier une lance au picot garni d’une flamme vermeille. Ogier reconnut parmi eux l’armure noire d’Enguerrand de Briatexte. Et après ces cavaliers pleins de morgue dont les montures encensaient, marchaient les musiciens : deux rangs de quatre tambours, deux de joueurs de busine, de cor, de hautbois, de cromorne, et enfin quatre cornemuseurs, tous torse nu, poilus comme des loups, ivres du tapage qu’ils répandaient.
— Je crois bien qu’ils nous jouent la menée [253] dit Guillaume.
Ogier put voir ensuite une cohorte de sergents vêtus de toile bise, coiffés de chapels de fer ou d’aumusses de cuir, et si proches les uns des autres que leurs boucliers s’entrechoquaient ; puis, un porteur de bannière où, sur fond de gueules et d’azur, parmi les lis de France, se convulsaient les léopards d’Édouard III. Derrière lui, lentement, progressait, cinq par cinq, une centurie d’archers, coiffés d’une calotte uniforme, le carquois au côté, le long bow en bois d’if appuyé sur l’épaule. Ils précédaient de loin la truandaille, la sentine des armées : les légions d’hommes en guenilles, chevelus comme des ribaudes et pelus comme des sangliers. Ils étaient armés d’arcs, de vouges, de faux, de guisarmes, de fléaux et même de francisques de l’ancien temps. Et plus loin, une petite cavalerie en bon arroi devançait des porteurs d’échelles. Enfin, au pied du chemin d’accès, dix bœufs par attelage tiraient un trébuchet, une perrière et un ribaudequin tellement énorme qu’il devait lancer des dards longs d’une aune à cent toises.
— Voilà ce qu’ils cachaient derrière les fourrés ! s’exclama Blanquefort.
De toutes parts, à mi-hauteur de la motte, l’orbe effrayant des hommes prêts à l’assaut s’agitait maintenant. Ils coloraient le sol de leurs vêtures et de leurs peaux de bêtes, se hélant, faisant les fiers, tels des bûcherons s’apprêtant à en finir avec le tronc de quelque vénérable. Il y avait là aussi, sous leur pot de fer pointu, des Germains gras et vigoureux ; des Gallois taciturnes, des Gascons petits et turbulents, plus haineux encore que les Goddons leurs maîtres, des Flamands à la barbe fourchue, criant alternativement : « Édouard ! Édouard ! À la mort ! À la mort ! » Et devant ce déploiement de force et de vacarme, Ogier se demanda si le château ne tomberait pas avant la fin du jour.
— Eh bien, messire, lui confia Thierry
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